Comment faire pour transformer l’entreprise en profondeur de façon à éviter les discriminations autour du handicap au travail ? Comment faire pour se sensibiliser et agir concrètement, à tous les postes ? Êtes-vous prêt et prêtes à envisager le handicap autrement ? Comment prendre ses responsabilités et stopper le validisme ambiant pour que la société et le monde du travail soit le plus inclusif possible ? Alors.. AU BOULOT !

Ce podcast produit par la mission handicap de la Sécurité sociale et réalisé par Marguerite Fouletier et Romain Rabier.

00:03 Musique entrainante puis diverses voix se succèdent et disent :

Vous m’avez demandé de parler de mon handicap. Et ça, c'est pas mon handicap, c'est ma

situation. Mon corps, mon handicap, c'est la Société.

Une autre voix dit :

Quand je parle de personnes en situation de handicap, j’ai ça en tête : c’est la loi de 2005 qui ne

résume plus le handicap à la personne, mais bien à la situation qui la met ou pas en situation de

handicap.

Une autre voix dit :

Un être humain en situation de handicap ou pas a la même valeur. Déjà, si on arrive à faire ça !

Une autre voix dit :

Sensibiliser, c'est la première étape.

Une autre voix dit :

Tout seul, on fera rien, c'est un travail collectif.

Une autre voix dit :

On apprend les uns des autres, c'est extrêmement important. Et donc avoir une posture

d’apprenant, non pas de sachant ni de prise en charge.

Une autre voix dit :

Montrer à l'employeur que ça peut être une chance et pas du tout, encore une fois, une charge,

c'est important.

Une autre voix dit :

On interroge la définition du handicap, on interroge la définition de discrimination.

Est-ce qu'on interroge la définition de travail ?

(Bruit de moteur qu’on débranche d’un coup sec)

00:53 Marguerite, la narratrice :

Vous êtes en train d'écouter “Au boulot, ou comment déconstruire les discriminations autour du

handicap au travail”. C'est un podcast produit par la mission handicap de la Sécurité sociale,

réalisé par Marguerite Fouletier et Romain Rabier.

Depuis cinq épisodes, nous creusons le champ du handicap et de la discrimination.

Et pour ce dernier épisode, il est temps de voir comment nous pouvons transformer l'entreprise en

profondeur. Rien que ça.

Ensemble, nous allons faire la liste des actions concrètes pour agir au quotidien, pour que

l'entreprise puisse inclure le plus de personnes possible. Et quand je dis ensemble, c'est parce

qu'il y aura aussi (Les voix des invités prononcent leurs prénoms et noms) Stéphanie Gateau,

Violaine Leyder, Damien Caillaud, Nathalie Achard, Mathilde Francois, Karine Gros, Odile Rohmer,

Henri-Jacques Stiker, Carole Besson, que vous avez déjà entendu dans les épisodes précédents

et avec qui on réfléchit, on avance depuis le début de ce podcast.

Et puisque vous avez forcément écouté les épisodes précédents, vous comprendrez pourquoi on

décide de ne plus préciser si les personnes sont en situation de handicap ou pas.

(Bruit d’un métronome comme dans les émissions de questions/réponses)

Parce qu'après tout, ça change quoi de le savoir ? Rien… et tout à la fois, non ? Parce que qu’estce qui se passe quand une personne vous annonce son handicap ? Est-ce que vous avez déjà

pensé que le handicap invisible d'une personne n'était pas un peu … exagéré ?

En toute honnêteté, ça nous est arrivé lors de nos premiers entretiens parce qu'on n'était pas

encore sensibilisé et qu'on avait une image très réduite du handicap. Et ça, c'est la première chose

à changer pour transformer l'entreprise. Le regard que l'on porte sur le handicap.

02:58 Diverses voix d’invités se succèdent :

Et un truc que je déteste, c’est: « vous ne ressemblait pas à une handicapée » ça, on me le dit au

moins une fois par semaine !

Une autre voix dit :

À partir du moment où on est dans le handicap invisible, très souvent, aux yeux des valides, …

c’est qu'il est inexistant !

Une autre voix dit :

Moi, par exemple, là, durant cet entretien avec vous, on pourrait très bien croire que je n'ai aucun

handicap, mais ça ne veut pas dire que je ne souffre pas.

Une autre voix dit :

J'entendais dire par exemple, « Tiens, c'est bizarre, Damien, il a eu mal au dos le lundi matin. Estce que ça n’était pas pour allonger le week-end, hum ? »

(Musique de surprise avec de grosses basses et aigus saccadés)

Une autre voix dit :

Quand c'est arrivé à mes oreilles, je suis bien évidemment allé voir les deux personnes qui avaient

évoqué ça, en leur disant: « Mais moi, si vous voulez, je vous donne ma maladie quand vous

voulez et je serai là le lundi matin. »

03:02 Marguerite, la narratrice :

Donc, la prochaine fois qu'une personne dévoile son handicap, plutôt que de se demander si c'est

vrai, il faut tout simplement chasser l'idée du faux handicap. C'est tout.

Et si le handicap est si peu visible, déjà, c’est parce que, le plus souvent, il s'agit d'un handicap

invisible. Mais c'est aussi parce que souvent, il est rendu invisible dans le sens où il est tout

simplement caché, par peur d'être vu comme quelqu'un d'incapable plutôt que de compétent.

Et pourquoi ? Parce que le handicap est tout simplement mal représenté.

Voire très mal.

Et ça, c'est Christian Coquard qui nous l'explique parce qu'il a passé toute sa vie dans la publicité

et la communication.

03:32 Christian Coquard :

Quand on représente en publicité, une situation de handicap, on va forcément représenter, le

handicap lourd et visible.

Quand j'ai 30 secondes pour installer une scène, et bien, si je mets quelqu'un en fauteuil roulant,

ça sera tout de suite compris pour handicap.

Donc forcément, tout d'un coup, quand on dit à quelqu'un « est-ce que tu veux être reconnu

handicapé ?

L'image qu'on a, c'est du visible et du lourd parce qu'il faut que rapidement la situation soit

comprise. Et donc, c'est pas ça (le handicap) !

03:56 Odile Rohmer :

A partir du moment où on les verra dans des défilés de mode …

04:00 Marguerite, la narratrice - présente l’interlocutrice :

Odile Rohmer est enseignante, chercheur en psychologie sociale et elle s'intéresse à la question

du handicap

Odile Rohmer reprend :

… dans des rôles de truands, dans des rôles de flics, dans des rôles d'humoristes, etc.

Ce qu'on commence à voir hein, et bien, on commencera à percevoir que ce n'est pas le handicap

qui va différencier les individus les uns des autres.

Et finalement le changement de perspective et ce qu'on peut faire par rapport au handicap, c'est

beaucoup plus idéologique que structurel. On sait ce qu'on peut mettre en place pour faciliter les

études, pour donner accès au monde du travail.

Par contre, ce qu'on fait encore mal, c'est changer ce qui se passe dans notre tête. C'est ça, je

pense, la clé de la difficulté, c'est vraiment le le bain culturel dans lequel on est, qui nous fait

imaginer qu'être handicapé, c'est différent d'être valide.

(Une nouvelle musique douce reprend, boucle d’une suite de quatre notes au piano)

04:48 Marguerite, la narratrice :

Donc la deuxième étape pour transformer l'entreprise pour de bon, c'est changer l'image du

handicap que nous véhiculons.

Et chacun, chacune, nous pouvons agir à notre niveau, que ce soit au travail, en famille, avec des

ami.e.s, à travers des publications sur les réseaux sociaux, le choix des visuels, sur des

présentations en réunion, mais aussi en arrêtant certaines blagues ou expressions qui utilisent le

handicap comme une insulte.

05:09 Marc Esselin :

Le handicap, c'est juste un handicap. Il n'y a pas de honte à être handicapé.

05:13 Marguerite, la narratrice présente l’interlocuteur :

Lui, c'est Marc Esselin.

Il a 53 ans et il fait partie des 85 % de personnes dont le handicap survient au cours de la vie.

Et dans son cas, c'est même arrivé avant de commencer son parcours professionnel, il a donc

toujours travaillé avec son handicap.

Marc Esselin reprend :

Il n'y a pas de honte à être handicapé. Il n'y a pas non plus de fierté particulière. On est comme on

est, je veux dire… on choisit pas !

Il y a plein de choses qu'on ne choisit pas et on va vivre avec sans en être ni honteux ni fier.

Faut avoir le courage de dire : « ok je suis sourd mais bon voilà, c'est tout quoi ».

05:46 Violaine Leyder :

Je suis Violaine Leyder, je travaille à la Sécurité sociale depuis une vingtaine d'années.

Et puis là, depuis un an, j'ai repris des études pour faire une école qui s'appelle l'Ecole Nationale

Supérieure de Sécurité Sociale, qui est l'école que l'on fait lorsque l'on veut accéder à des postes

avec plus de responsabilités au sein de la Sécurité sociale.

Mais je me pose la question là je suis en recherche d'emploi et je ne sais pas du tout si je dois le

dire ou pas.

Et donc moi, plus j'avance en âge, plus je me dis qu'il est (enfin c'est pour ça que je suis contente

de participer à cette émission) important d'afficher le fait d’être une personne avec un handicap

pour que toute personne qui soit dans cette situation se sente à l'aise pour l'afficher également et

qu'elle se sente pas gênée par rapport à ça.

Donc là, récemment j’ai envoyé une candidature à la CNAM et il y avait une petite coche à cocher,

donc j'ai coché…

(Musique interrogative tempo très rythmé)

06:41 Marguerite, la narratrice :

A quoi ressemble une entreprise sans discrimination d’après vous?

06:46 Plusieurs personnes répondent à la question:

Violaine Leyder dit :

Ce serait une entreprise dans laquelle le handicap ne serait pas un tabou et que, du côté des

employeurs, ils puissent également faire part de leurs craintes.

Marc Esselin dit :

Une entreprise sans discrimination autour du handicap, c'est une entreprise sans discrimination

tout court.

Carole Besson dit :

L'entreprise de demain ? … Je dirais une entreprise ouverte à la singularité où on prend les gens

comme ils sont, pour leurs compétences, en enlevant toutes ces étiquettes et en les recrutant sur

un pied d’égalité.

Il y a du travail, il y a beaucoup de travail

(Rires)

Marguerite et Romain, à l’enregistrement :

Au boulot, alors !

(Rires)

C’est le nom qu’on a donné à ce podcast « Au boulot! »

Carole Besson :

Hahaha. Oui, excellent !

07:25 Damien Caillaud :

Une société inclusive, alors…si on se projette… ça serait celle dans laquelle, il n'y a plus besoin

de préciser sur une offre d'emploi sa dimension inclusive, parce que de fait, elle le serait et d'être

inclusive sur le champ du handicap, mais pas que ! Parce que si on l'est sur le champ du

handicap, on l'est nécessairement sur d’autres champs aussi.

(Musique électro calme, notes qui paraissent comme des gouttes d’eau qui rebondissent sur le sol

dans une pièce avec de l’écho)

07:55 Henri-Jacques Sticker :

Toutes les discriminations ont une origine commune, à savoir la peur de l’autre.

08:04 Marguerite, la narratrice :

Henri-Jacques Sticker est anthropologue du handicap et en plus de faire des recherches et des

livres sur le sujet, il a été directeur de l’Agefiph.

Alors vous allez voir, sa voix ne ressemble pas aux autres voix de ce podcast qui sont plus jeunes,

plus rapides… et on s’est demandé si c'était gênant. Mais heureusement qu'on ne s'est pas posé

la question trop longtemps ! Parce que ça aurait été très dommage de ne pas l'entendre.

Et vous allez comprendre pourquoi.

Mais le simple fait qu'on se soit posé la question confirme exactement ce qu'il dit.

Henri-Jacques Sticker reprend :

Puisqu'on aime bien que ça nous ressemble.

Et quand ça nous ne ressemble pas, ah alors, c'est au plus bas: gênant, au plus haut: dangereux.

08:41 Marguerite, la narratrice :

Ça c'est la troisième étape, il faut normaliser le handicap, c'est-à-dire réussir à se dire que c'est

normal, (encore une fois entre guillemets) d'être en situation de handicap.

Alors attention, ce n'est pas remplacer une norme par une autre, mais plutôt accepter que le

handicap et la diversité en général deviennent une composante habituelle de l'organisation du

travail. Et il faut composer avec les caractéristiques de chacun et de chacune, qu'il s'agisse d'un

handicap, d'une langue, d'une origine, d'un genre, d'un traitement médical, d'une situation

personnelle difficile ou autre, tout simplement.

09:13 Nathalie Achard :

On est normaux.

(Musique entrainante)

09:16 Marguerite, la narratrice :

Nathalie Achard est écrivaine et autrice du livre « Mon privilège, ton oppression », qui se découpe

en plusieurs chapitres: je suis classiste, je suis hétérosexiste, je suis raciste, je suis validiste, etc.

Nathalie Achard reprend :

Toutes les discriminations, c'est ça : il y a un schéma normal, préférable et honorable, et il y a le

reste.

Ça fait pas beaucoup en fait.

Et dans la situation de handicap, le validisme c’est, être en capacité de vivre dans ce monde tel

qu'il est. Donc c'est une vision extrêmement réduite de l’humain, qui est un humain fonctionnel

dans le monde tel qu'il est aujourd’hui.

Honnêtement, c'est très compliqué à définir, moi, je vous invite à le définir en observant le monde

tel qu'il est autour de vous, tel qu'il est organisé.

(Simultanément aux mots de Nathalie Achard:

une note en arrière plan accompagné de

bruitages de: brouhaha à une terrasse de café,

d’un métro qui arrive sur le quai, porte qui

s’ouvre, machine à café en marche, pats qui

descendent les escaliers, benne à ordures,

vibration d’un smartphone, sonnerie d’un

téléphone fixe, un agent de gare qui annonce

le départ d’un train, des manifestants qui

expriment des slogans, klaxons de voitures,

quelqu’un qui toque à une porte, sonnerie du

micro-onde)

Est-ce qu'une journée classique de travail de

8h dans le bruit, c'est quelque chose qui est

facile pour moi ?

Est-ce que prendre les transports tous les

jours pour aller au travail ? Ben oui, ça pose

aucun problème.

Petit exercice : je prends une journée. Tout ce

que je fais, du matin jusqu'au soir, je le note: je

me lève, je prends mon petit déjeuner, je

descends les escaliers… je note tout, mais

vraiment tout, tout, tout.

Et puis là je regarde.

Pourquoi c'est facile pour moi ? Qu’est-ce qui fait que c'est facile pour moi, en fait ?

(Musique avec basses, son en sourdine, rythme cardiaque déconstruit)

10:42 Marguerite, la narratrice :

Ça, c'est l'étape suivante, la quatrième: accepter que même nous, même moi, même vous, les

personnes concernées, même en situation de handicap, nous pouvons être validistes. Mais alors

qu’est-ce qu'il faut faire pour éviter ça ? Est-ce que vous, vous avez une idée ?

… Et si on cherchait du côté des valides ?

C'est la question que nous avons posée à Odile Rohmer.

11:02 Odile Rohmer :

La différence entre l'intégration et l'inclusion.

L'intégration, c'est la personne handicapée qui doit tout faire pour ressembler le plus possible aux

valides et montrer qu'elle est capable de rentrer dans le monde des valides.

Et bien non.

Pourquoi y aurait-il quelqu'un à part qui devrait faire l'effort de ressembler aux autres ?

Et pourquoi ce serait pas la société qui élargirait un petit peu ses frontières en se disant, et bien,

parmi nous il y a des différences.

Ces différences, elles font partie de l'humanité et on doit les intégrer.

(Musique entrainante)

11:33 Marguerite, la narratrice :

Voici l'étape d’après, se sensibiliser, s'informer et faire l'effort de changer nos conceptions du

travail, d'élargir notre vision de la performance et des compétences.

Et à ce moment là, on pourrait ouvrir l'accès à des postes à bien plus de personnes qu'aujourd'hui.

Et peut-être que le recrutement serait plus facile d'ailleurs. Mais ce que dit Célia Boucher, docteure

en sociologie, c'est que la difficulté là-dessus ce ne sont pas uniquement les préjugés sur la

déficience, mais plutôt sur les modes de fonctionnement du travail.

Parce que souvent, on envisage le travail par rapport à notre propre mode de fonctionnement de

personnes valides, et la plupart du temps, on n'imagine pas les autres options, et les nouvelles

façons de travailler.

Donc ça implique aussi de questionner les modes d'organisation et les modes alternatifs de

réalisation du travail qui sont tout aussi fonctionnels !

Donc concrètement, il faut repenser le travail sans la vision valide du travail.

Et ça, c'est pas facile.

C'est pas facile parce que ça fait peur.

12:26 Nathalie Achard :

Qu’est-ce qui vous fait peur ?

On peut en parler collectivement, on peut en parler individuellement.

Moi, je vous écoute.

Je pense que un manager et une manageuse, (parce que j’en accompagne pas mal) c'est d'abord

quelqu’un qui écoute, mais qui écoute vraiment par contre. C'est-à-dire qu’ils sont complètement

en capacité d'accueillir ce que dit l'autre de manière inconditionnelle.

Et ça veut pas dire être d’accord.

Ça veut dire: voilà, tout ce que tu dis, je ne suis peut-être pas d'accord, mais ça a du sens pour toi

et je le prends en considération.

Et donc dire: « ça vous fait peur ? » D’y aller directement !

« Je suis sûre qu'il y a des choses qui vous déstabilisent, qui vous inquiètent…alors on va en

parler avant l'arrivée de la personne. »

On va déjà décharger au sens « émotionnel » ce que le groupe se raconte, ce que les individus se

racontent.

Je pense que ça pourrait être pas mal ça.

Et donc donner la parole d'abord au collectif s'il a envie, de le faire dans un groupe de parole

collectif ou individuellement.

Et donc là, par contre, le manager ou la manageuse, doit être, devrait être en capacité d'entendre

TOUT, de manière inconditionnelle.

Et que si quelqu'un me dit: « Ah mais moi, ça me fait complètement flipper qu’il y ait quelqu'un en

situation d'handicap parce que ça va ralentir le travail (je fais exprès là) parce que tout le monde

va devoir être au service de…etc »…

Mais que la personne puisse le poser dans un cadre de sécurité totale.

C'est-à-dire que le manager ou la manageuse ne va pas lui dire: « Mais t’es horrible ! » (rires)

« mais c'est pas possible ! Qu’est ce qu’on va faire de toi ? ».

Non, pas du tout.

Il faut qu'il y ait ce cadre de sécurité où chacun puisse déposer ses peurs.

Et pour la personne aussi ! Pour celle qui arrive: qu’elle ait ce cadre de sécurité, où elle puisse

déposer en toute sécurité: ses peurs, ses croyances et son vécu précédent…

Déjà si on fait ça… ça fait un super nettoyage. Honnêtement, ça fait un super nettoyage.

(Musique entrainante)

14:11 Marguerite, la narratrice :

Et vous, qu’est-ce qui vous fait peur ? Qu’est-ce qui vous paraît impossible ? Trop dur, Trop

compliqué ? Pas adapté à votre travail en particulier ? Et est-ce que vous avez déjà questionné

une personne en situation de handicap par rapport à ça ?

Parce que c'est l'étape d’après : arrêtez de penser à la place des personnes, mais plutôt leur

demander directement: comment faire pour travailler ensemble ?

Et ce qui peut vraiment faciliter ce changement de cap, c'est recruter des personnes en situation

de handicap à tous les postes, à tous les niveaux et notamment à des postes de direction.

14:45 Nathalie Achard :

Une entreprise, elle est solide, elle innove, elle va plus loin si elle a des vraies personnalités et pas

des moutons.

Parce que si elle a des moutons… une administration qui n'est que capable de suivre des

consignes, c'est limite dangereux.

Ce qui est intéressant quand on est en situation de handicap, je pense, c'est qu'on a un tout petit

décalage et je pense qu’on est conscient de la fragilité des choses.

Et par cela, on voit un petit peu autre chose, que les autres ne voient pas et parfois on voit pas ce

que les autres voient (elle rit)

Mais donc, à la rigueur, je pense que c'est pas mal d'affirmer cette position là: « un tout petit peu

en décalage, mais quand même dans le groupe », qui peut être utile pour le groupe, parce qu'on

va voir des choses que les autres n’ont pas du tout captées.

La préconisation, c'est d'essayer d'affirmer ce côté un petit peu différent et de dire: « bah oui, moi

je suis un peu différent, peut-être que c'est lié au fait que j'ai un handicap et cette différence elle

est intéressante à écouter. »

Tout simplement parce que lorsque l'on va développer des services qui sont des services

téléphoniques, des services sur écran, des services en accueil… et bien, le fait de l'éprouver dans

sa chair -cette fragilité physique- on va y penser, tout simplement.

Alors que si ça n'était pas le cas, effectivement, on va y penser après parce que quelqu'un le

signale et puis après, il faut repenser toute la procédure.

C'est bien, de l'avoir en tête dès le début et ça permet d'avoir des services pour nos bénéficiaires

qui soient plus adaptés.

16:26 Marguerite, la narratrice :

Même si c'est gênant de devoir présenter le recrutement de personnes en situation de handicap,

comme un avantage, pour ne pas tomber dans une autre sorte de discrimination.

C’est malgré tout un argument pour inviter à changer les habitudes des ressources humaines

quand elles embauchent des personnes valides, ou devrais-je dire, visiblement valides.

16:42 Carole Bresson :

Souvent, la clé d'entrée, la première, elle va être financière…

16:46 Marguerite, la narratrice, présente Carole Bresson:

Carole Besson travaille à l'Agefiph. C'est l'Association de gestion du Fonds pour l'insertion

professionnelle des personnes handicapées.

Carole Bresson continue:

…et l'idée, c'est de baisser la contribution.

Tant pis, on met le pied dans la porte avec la baisse de la contribution, c'est pas très grave.

Ce qui est certain, c'est que, au fil du temps, elle va se rendre compte qu'on est sur un sujet qui

est éminemment transverse et que le handicap, en filigrane, en réalité, irrigue toutes les politiques

sociales.

Quand on travaille sur le handicap, c'est un peu un laboratoire d'innovation puisque finalement, en

travaillant sur les conditions de travail d'un collaborateur handicapé, on va travailler sur les

conditions de travail pour le collectif.

On est dans la gestion de la singularité, donc on appuie sur les mêmes ressorts que la

responsabilité sociétale d'entreprise. On en appelle à la responsabilité individuelle, à ce que

chacun peut faire. C’est un petit peu l'histoire du colibri, chacun peut apporter sa pierre.

On travaille sur la formation, la qualité de vie au travail, la gestion des seniors…etc. On va gérer

des personnes qui, à partir d'un certain âge, ont beaucoup de chances de développer un

handicap. Donc on agit sur aussi la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Voilà,

c'est un vrai cercle vertueux.

On est aux confins de toutes les politiques sociales et quand on a compris ça, ça a un effet loupe.

Tout ce qu'on va faire pour gérer le handicap dans l'entreprise, ça va venir irriguer toutes les

politiques, mais dans le côté plus-value.

18:23 Mathilde François :

Si on individualise la situation, on loupe complètement, ne serait-ce que de sauver la relation entre

la personne handicapé et les personnes valides.

18:30 Marguerite, la narratrice présente Mathilde François:

Mathilde François est membre du collectif féministe qui s'appelle « Les Dévalideuses » et qui lutte

activement contre le validisme.

Mathilde François continue,

C'est-à-dire que si on ne veut pas qu'il y ait un schisme entre ces relations là, si on ne veut pas

qu'il y ait un divorce, il faut qu'on se pose la question structurelle.

Il faut qu'on se dise, NOUS avons un problème. Si on est entre valides et personnes handicapées

dans une même organisation et que tout le monde accepte de dire, NOUS avons un problème, il y

a cette situation de santé… Là, je ne sais pas ce qui va advenir, mais au moins on aura sauvé la

relation.

Alors que si on dit, (ce qui arrive souvent quand même) si on individualise le handicap et si on dit:

Mathilde est imprévisible.

Je ne suis pas imprévisible. Ma santé est imprévisible, moi, je ne suis pas imprévisible: quand je

m'engage à quelque chose, je le fais. C'est juste que : vous vous engagez à quelque chose, mais

un jour vous êtes écrasé par une météorite, vous n’êtes pas imprévisible, ok ? Il y avait une

météorite ! Et bien ma santé c'est pareil, c'est une météorite, voilà.

Je rêve qu'on arrête de dire : « halala Mélanie, c'est un vrai problème. »

Non, non ! La santé de Mélanie est un problème… pour Mélanie et pour nous donc, parce qu'on

est solidaires de Mélanie.

(Musique entrainante)

Les employeurs, ils sont en sandwich entre le marteau et l'enclume.

C'est-à-dire qu'ils veulent bien être des supers et gentilles personnes qui ont un bon karma à la fin,

mais ils sont quand même sous pression de maintenir une viabilité économique de leurs

dispositifs.

Donc eux aussi ils sont victimes d'un problème.

Et finalement, le deuxième niveau c’est : on n’est pas victime du problème de santé de la

personne, collectivement, on est victime de notre organisation et donc eux ils sont en sandwich et

ils souffrent. Donc on doit s'organiser pour se venir en aide les uns aux autres.

20:01 Henri-Jacques Sticker :

La société inclusive, c’est-à-dire, non pas prendre la question du côté individuel de la personne,

mais prendre la question du côté de l’entreprise, ou du groupe social ou de la société globale.

C’est-à-dire que la question n'est pas seulement de savoir comment on va faire avec un individu,

mais de savoir si on peut transformer l'ensemble des dispositions et dispositifs sociaux, collectifs,

pour que le plus grand nombre possible de gens différents puissent s'y intégrer et y vivre et s'y

développer.

(La musique tombe dans les graves)

20:45 Mathilde François :

Un endroit qui ne serait pas source de souffrance dans lequel je pourrais avoir un projet

constructif… appelez ça du travail, si vous voulez…

ce serait un endroit où les gens avec lesquels je travaille ne me renvoient pas, si possible toute la

journée à la figure: le fait qu'ils ont normalisé des compétences de leur corps auquel je n'ai plus

accès, quoi.

On voit vraiment l'injustice quand quelqu'un dit: « ah bah là, vraiment, le boulot c'est super, ça tient

parce qu'on peut tirer sur la corde » et qu’il valorise le fait de pouvoir tirer sur la corde.

Déjà ça me rend triste.

Mais à première vue (sourire) parce que je peux pas tirer sur la corde.

Après quand je décortique, je me dis : « quand même, Mathilde, t’es triste parce que tu ne peux

plus tirer sur la corde ? Est-ce que vraiment c'est ça qui te rend triste dans la vie ? Non.

Ce qui est triste, c'est d'être exclue du groupe des gens qui sont valorisés. »

Et le problème qu'on a ensemble, c'est qu'on valorise le fait de tirer sur la corde.

(Musique monte dans les aigus)

21:39 Odile Rohmer :

Tant que notre unique critère de mesure, ça sera la performance au sens très strict du terme: la

productivité, on aura du mal à percevoir l'intérêt d'avoir d'autres types de compétences.

J'ai participé à l'automne dernier à une table ronde en Suisse sur: « Handicap et emploi ».

Et il y a un chef d'entreprise qui est intervenu, qui racontait que, quand il a repris les rênes de

l’entreprise, ça allait mal et il a regardé qui étaient les cadres et il disait : « Mais c'est pas possible !

les cadres, c'est tous les mêmes ! C'est tous des hommes blancs d'une cinquantaine d’années. Et

si on changeait les choses ? »

Donc il a fait le pari de la diversité.

Il a nommé comme cadre et il a embauché de nouvelles personnes qui venaient de milieux

sociaux différents, d'origines différentes, qui étaient des femmes pour certaines. Et puis il a voulu

aussi embaucher des personnes en situation de handicap.

Là, il a eu plus de mal parce qu'il a rencontré plus de freins dans l'entreprise en disant « Ben oui,

elles ne vont pas pouvoir. »

Donc il s'est dit : « on les embauche et je garde l'argent de ces postes en réserve. Et si jamais ça

ne marche pas, on pourra embaucher quelqu'un en complément. »

Donc non seulement il n'a jamais eu besoin d'embaucher quelqu'un en complément de ces

personnes en situation de handicap qu'il avait embauché comme cadre, mais en quelques mois, ils

ont redressé l'entreprise grâce à la diversité !

(Musique avec un rythme qui monte et s’accélère)

23:08 Nathalie Achard :

Si vous venez m'aider en pensant que mon problème c'est mon problème, c'est pas la peine.

Merci.

Par contre, si vous venez m'aider en sachant que mon problème c'est le vôtre aussi, parce que

nous sommes dans l'interdépendance, et bien là, on peut travailler ensemble.

Il y a une notion qui est hyper importante qu'on retrouve en communication non-violente et qui

s'applique à environ tous les systèmes de discrimination, qui est la différence entre aider et servir.

Aider, c'est considérer que l'autre est cassé, que l'autre est diminué, que l'autre n'a pas de

capacité et que moi par contre, je sais ce qui va être bon pour l'autre et donc je vais appliquer - et

vraiment parfois de toute bonne foi, avec une véritable intention qui vient du cœur - donc il n'y a

pas de problème avec ça, mais je vais appliquer ce qui est bon pour moi.

Et on ne fait pas confiance dans le fait que l'autre en face, sait faire des choses, l’autre en face,

sait ce dont il ou elle a besoin, l’autre en face, a des ressources que je n'ai pas.

Parce que dans ma vision, si cette personne ne peut pas marcher, elle a un problème par rapport

à ce que moi je vis.

Parce que ça me paraîtrait impossible, moi, de vivre sans pouvoir marcher comme je marche.

Donc en aidant, je veux que la personne fasse ce qui me paraît bon pour elle, par le filtre de ce qui

est bon pour moi.

Et donc je lui enlève toute sa capacité de créativité, toutes ses ressources personnelles qui ne

sont pas les miennes.

Ça c'est classique.

24:45 Marguerite, la narratrice :

C'est déroutant quand on entend ça pour la première fois, non ?

Qui pourrait penser qu'en voulant aider une personne en situation de handicap, on est en plein

flagrant délit de validisme ?

Parce qu'en voulant aider en tant que valides, on renforce l'idée qu'être valides c'est mieux qu'être

en situation de handicap. Parce qu'on sait forcément ce qui est bon pour l'autre, parce qu'on voit le

monde avec le filtre de ce qui est bon pour nous.

Comment vous sentiriez vous si quelqu'un venait vous aider sans vous avoir demandé en vous

disant :"Ouh là là, attendez, ça va être trop dur pour vous. Ne vous inquiétez pas, je vais le faire.

Ce serait mieux comme ça. »

25:20 Nathalie Achard :

Servir… même si ce mot, forcément, a plein de connotations, on a des images qui viennent en

tête… mais « servir », c'est se mettre à côté de la personne et lui dire moi je sais faire des trucs,

moi je peux te soutenir, moi j'ai des privilèges, j'ai des outils, j'ai des bidules, j'ai des trucs et tout.

Et toi, de quoi est ce que tu as besoin ? C’est-à-dire se mettre au service, au premier sens du

terme. C’est-à-dire : « regarde, je te montre toutes mes boîtes à outils, je te montre tout ce que je

sais faire, tout ce que je ne sais pas faire aussi. Parce que, voilà, moi aussi j’ai mes vulnérabilités,

j'ai mes trucs cassés, etc. Qu'est ce qui pourrait du coup t'être utile ? Qu'est ce qui pourrait t'aider

à utiliser tes compétences ? »

Donc c'est vraiment être à côté de la personne en écoute totale et absolue, sans considérer que

j’ai la solution.

Si, déjà, je change de point de vue, je sors de l’idée « Il y a quelqu'un en situation handicap, donc

ça va pas » à « Il y a quelqu'un qui vit ce monde différemment, qui a une vision différente.

Qu'est ce qu'on peut faire ensemble ? Qu'est ce que moi je peux lui donner et qu'est ce que cette

personne peut me donner, aussi ? »

(Musique intrigante)

26:34 Nathalie Achard :

C'est là où il y a la posture d’allié. Où l'allié doit être au service et non pas en aide et doit prendre

en considération que les dysfonctionnements sociétaux dans lequel nous sommes - je pars du

postulat que la société dysfonctionne… tout le monde n'est pas d'accord avec ça (sourire) - mais

en partant de ce postulat que: la société dysfonctionne, nous avons chacune et chacun notre part

de responsabilité et de résolution.

Donc c'est vraiment un travail coopératif.

(Musique plus rythmée qui donne de la motivation)

27:04 Marguerite, la narratrice :

Pour ce dernier épisode, avant les habituelles bonnes pratiques, retenez que se sensibiliser, se

former au handicap, c'est la base.

Et c'est ce que vous faites en écoutant ce podcast.

Ensuite, il faut retenir que, 1: déjà, acceptons que oui, nous sommes tous et toutes responsables

du validisme de la société.

2: Ne soyez pas vexé.e.s, ni même découragé.e.s, parce que si nous sommes une partie du

problème, nous sommes aussi une partie de la solution.

3: Chacun, chacune, à notre échelle, dans notre milieu professionnel, dans notre entourage, notre

quotidien, nous pouvons changer la norme qui convient surtout aux personnes valides.

4: Nous pouvons nous mettre au service les uns les autres, les unes des autres plutôt que de faire

à la place de la personne.

5: Tout le monde en situation de handicap ou pas, ou pas encore, a le droit de travailler, d'être

embauché sans méfiance, d'être accepté dans une équipe, d'être accompagné si besoin, d'être

payé comme les autres, de changer de boulot, de monter en grade jusqu'à peut-être la direction

d'une entreprise.

6: Rappelez vous que si peu de personnes osent dire leur handicap au travail, c'est peut-être

parce que peu de personnes osent entendre et accepter le handicap.

7: Bien sûr, transformer l'entreprise et la société, c'est une volonté politique et beaucoup de

changements plus grands sont hors de notre portée, mais ce que nous pouvons déjà faire, c'est

changer notre état d'esprit et nos actions concrètes pour éviter les discriminations autour du

handicap au travail et dans la société en général.

28:30 Stéphanie Gateau :

Allons-y, bossons ensemble ! Avançons quoi ! Et ce sera plus un sujet.

Pour qu’on n’ait plus de podcasts à faire sur le handicap par exemple.

Si ce n'est pour dire : « Regardez, il a 20 ans, on en était à faire des podcasts sur le handicap et

qu'on se dise dans 20 ans, c’est incroyable qu’on en soit là maintenant ! »

28:49 Marguerite, la narratrice :

Voilà, vous avez écouté les six épisodes du podcast: « Au boulot ! ».

Et pour continuer à déconstruire les discriminations autour du handicap au travail, il faudrait

d'autres podcasts pour remonter le fil en amont de la vie professionnelle, c'est-à-dire dans les

études supérieures, au lycée, au collège et pourquoi pas à l'école primaire ou même dès la

maternelle.

29:07 Romain, co-réalisateur :

Nous tenons à remercier sincèrement la sécurité sociale pour être à l'initiative de ce genre de

projet et pour nous avoir fait confiance pour le réaliser.

29:15 Marguerite, la narratrice et co-réalisatrice :

À toutes les personnes qui ont pris le temps de nous recevoir, nous vous disons aussi

En coeur, Marguerite et Romain :

Merci !

29:19 Romain :

Car nous avons beaucoup appris à vos côtés et grâce à vous, nous avons déjà commencé à

changer notre façon de travailler avec par exemple une version accessible pour nos podcasts. D'ici

là, on vous dit un grand merci.

29:31 Marguerite :

Merci.

29:31 Romain :

Et surtout…

29:32 En coeur, Marguerite et Romain :

Au boulot ! Au bou-lot ! AU BOULOT