"Au boulot ! ou comment déconstruire les discriminations autour du handicap au travail" est un podcast de la Sécurité sociale réalisé par Marguerite Fouletier et Romain Rabier, en partenariat avec l’Agefiph. En plusieurs épisodes, suivez la parcours d'une personne en situation de handicap, découvrez les endroits où se cache la discrimination et retenez les bonnes pratiques pour l'éviter ... pour qu'un jour, il n'y ait plus besoin de faire de podcast sur le sujet !

Dans cet épisode, il est question du ou des bons mots pour parler du handicap. Comment ne pas être discriminant dans ses paroles ? Quel est l'enjeu d'utiliser le bon terme ? Et est-ce que le bon terme existe ?

Un podcast signé la Sécurité sociale:

00:04 Musique entrainante puis diverses voix se succèdent et disent :

Une personne sur deux dans sa vie va se retrouver un jour en situation de handicap. Ça

veut dire quoi ? Ça veut dire qu'en réalité, on est tous concerné.e.s.

Une autre voix dit :

Parler du handicap, c'est un peu restrictif parce qu'il faudrait parler DES handicaps.

Une autre voix dit :

Le handicap en fait, il est partout. On estime que tout le monde le rencontre au moins une

fois dans sa vie, même si c’est ponctuel.

Une autre voix dit :

J’en suis l’exemple type: j'ai 54 ans, j'étais en pleine forme toute ma vie et là, maintenant, je

suis vraiment en situation de handicap… voire ça va durer.

Une autre voix dit :

Le handicap fait partie de ma vie depuis ma naissance.

Une autre voix dit :

Je suis tombée malade au cours de mon premier emploi, de ma vie.

Une autre voix dit :

Des discriminations dans le travail ? … Oui.

Une autre voix dit :

Moi, j'ai cette liberté de parole parce que je suis à mon compte. Je serais dans une société,

est-ce que j'oserais dire : « Dans ma boîte, on m'a mis sur une voie de garage. »

Une autre voix dit :

Parce qu'on se dit « Ah oui, 80 % des handicaps sont invisibles ».

Une autre voix dit :

Et un truc que je déteste c’est: « Vous ne ressemblez pas à une handicapée ».

Une autre voix dit :

J'ai bugué, j'ai freezé: mon cerveau, il s’est débranché, il a fait : « Non mais là, autant de

conneries dans une toute petite phrase ! pfffff”. »

(Bruit de moteur qu’on débranche d’un coup sec)

01:05 Marguerite, la narratrice :

Vous êtes en train d'écouter “AU BOULOT ! ou comment déconstruire les discriminations

autour du handicap au travail”. C’est un podcast produit par la mission handicap de la

Sécurité sociale et réalisé par Marguerite Fouletier et Romain Rabier.

Moi, je suis valide même si j’ai un aperçu du handicap à travers celui de ma fille et c'est ma

voix que vous allez entendre pendant les entretiens. Comme vous sans doute, je ne suis

pas exempte de paroles discriminantes.

Ensemble, j'aimerais qu'on essaye de comprendre, pourquoi il existe encore des

discriminations autour du handicap et comment chacun et chacune d'entre nous peut arrêter

ça. Vous êtes d'accord ? On y va ?

Alors pour nous aider à mener l'enquête, on a rencontré deux types de personnes. D'un

côté, des profils plutôt experts, comme des sociologues, des scientifiques spécialistes de la

question et de l'autre, des personnes elles-mêmes en situation de handicap qui témoignent

de leur quotidien.

Donc, la première chose qu'on a faite: c'est de mettre des gens dans des cases ! Et c’est ça,

la base de la discrimination… C'est pour éviter ce genre d'erreur que dans ce podcast, vous

allez entendre des expériences vécues, des réflexions, des conseils, mais aussi des

questions ouvertes que je vous poserai à vous, pour qu'ensemble, on essaye de faire en

sorte qu'il n'y ait plus besoin de faire de podcast sur les discriminations autour du handicap

au travail.

Dans ce premier épisode, je vous propose de commencer par le commencement en

définissant les notions de handicap et de discrimination pour être bien sûr qu'on parle toutes

et tous de la même chose. Ensuite, dans les épisodes suivants, nous analyserons

précisément comment les discriminations se dissimulent dans toutes les étapes d'un

parcours professionnel. Depuis l'entretien d'embauche en passant par les conditions de

travail, les collègues et la mobilité dans l'emploi.

Et pour vous dire la vérité, notre but secret, c'est de transformer nos comportements, mais

aussi la société. Oui, rien que ça ! Donc, vous l'avez compris, nous avons du travail et c'est

pour ça que ce podcast s'appelle « Au boulot ! ou comment déconstruire les discriminations

autour du handicap au travail ? ».

03:02 Voix de synthèse, robotique et saccadée, d’un assistant vocal qui guide les personnes

malvoyantes à naviguer sur le téléphone portable :

Message - insertion - dictée - réception - modifier - recherche - champ de recherche -

interview pour le podcast “Au boulot”. Message un sur six de lesbeauxyeux.com : « Bonjour

Arthur. On s'est parlé il y a un moment à propos d'un podcast sur le handicap et le travail qui

a été mis en stand-by jusqu'à maintenant. Ce podcast a donc enfin un nom et un titre. Ça

s'appelle « Au boulot ! ou comment déconstruire les discriminations liées au handicap au

travail ? ». On attaque enfin le premier épisode du podcast. On aimerait bien commencer

avec toi, Arthur ».

03:35 Arthur Aumoite :

Qui je suis en quelques mots ? Je suis Arthur, vous l'avez dit. J'ai 30 ans, je travaille en tant

que conseiller technique, dans une association. On développe un projet qui s'appelle le

projet EPOP qui vise à développer la valeur de l'expérience de vie des personnes en

situation de handicap et que ça puisse devenir, s'ils le souhaitent, jusqu'à des espèces de

consultants, des experts du vécu, finalement.

Et j'ai aussi une activité à côté, de conseiller en audiodescription pour qu'elles soient en

quelque sorte testées avant d'être enregistrées, puis diffusées au cinéma, en télévision et

autres. Et à titre personnel, je suis une personne concernée par le handicap parce que je

suis moi-même malvoyant. Ce qui fait qu'aujourd'hui, j'ai 30 ans, mais j'ai eu une maladie

qui a démarré quand j'avais treize piges à peu près et qui fait que je perds la vision centrale.

Donc là, quand je vous regarde en face de vous ne vois pas. Je vois ma main gauche, je

vois ma main droite, mais je ne vois pas au centre.

Que vous dire de plus ? Et bien, ça va, je viens de me marier, je pratique du sport, je fais

des choses, je fais de la musique.

04:36 Marguerite, la narratrice :

Lui, c'est Arthur. Nous l'avons découvert à travers une conférence TED sur le handicap qui

commençait comme ça.

(Délicate musique classique de générique de début de conférence qui monte arrive en

crescendo)

04:48 Voix en audiodescritpion de la conférence filmée:

Ce programme est diffusé en audiodescription et cette fois, pas juste pour les malvoyants.

04:56 Applaudissements accompagnés de la voix en audiodescription de la conférence

filmée:

Assis sur mon fauteuil roulant, j'entre sur scène. Je m'arrête au centre d'un tapis rouge.

05:16 Arthur Aumoite lors la conférence filmée:

Bonsoir tout le monde ! Ben, on vous la dit, je m'appelle Arthur, j'ai 27 ans depuis quatre

jours et je suis ce qu'on appelle une personne en situation de handicap. Contrairement à ce

que l'on pense souvent, un handicapé, c'est pas juste un gars en fauteuil.

D'ailleurs, petite devinette : À votre avis, quel est le pourcentage des fauteuils chez les

handicapés ? (Le public propose des chiffres qu’Arthur répète dans son micro) 40% ? Qui dit

mieux ? 30%, 25% ? Et bah dans les chiffres, tenez vous bien, seulement 2% sont en

fauteuil.

05:37 Voix en audiodescription de la conférence filmée

Je dépose mes pieds au sol, prend appui sur les accoudoirs du fauteuil et me lève.

05:46 Arthur Aumoite lors la conférence filmée:

Si on veut changer les regards sur le handicap, il faudrait déjà considérer TOUS les

handicaps.

(Musique entrainante) Cette mise en scène là, c'était juste pour vous faire ouvrir les yeux. Je

suis handicapé, certes, mais visuel depuis mes quatorze ans… (la voix de Arthur baisse

jusqu’à disparaître, la musique reste)

05:57 Marguerite, la narratrice :

En écrivant le podcast, on s'est demandé quel était le bon terme à utiliser entre :malvoyants,

non-voyants, aveugles. Alors, nous avons posé la question directement à Arthur lui-même

pour savoir ce qu'il en pensait. Quel était le bon terme ou mauvais terme d'après lui.

06:11 Arthur Aumoite :

Alors je l'utilise moi-même, c'est bizarre, mais quand on dit “déficience”, “déficience

visuelle”, ça passe encore parce que je l'ai suffisamment utilisé. Mais quand il peut y avoir

dans des remplissages de dossiers : “déficience, déficience, déficience, déficience”, c'est

quand même juste appuyer là où ça fait mal.

06:33 Marguerite, la narratrice :

Nous avons également posé la question à Carole Besson. Carole Besson travaille à

l'AGEFIPH. Pour info, l’AGEFIPH, c’est …

06:39 Carole Besson :

…l’Association de Gestion des Fonds pour l'Insertion Professionnelle des Personnes

Handicapées, pour l’acronyme. Les missions, c'est favoriser l'emploi des personnes

handicapées en milieu ordinaire de travail.

06:58 Marguerite, la narratrice :

Et Carole est chargée de la mission à la direction de la mobilisation du monde économique

et social. Elle côtoie le handicap depuis des années à travers les entreprises et les

associations qu'elle accompagne. Donc nous lui avons tout naturellement demandé

comment elle, elle parlait du handicap.

07:09 Carole Besson :

Ce mot est quand même un peu un coup de fer rouge: « Je suis handicapé.e … ». En fait,

ça vous résume, ça gomme tout le reste. Je suis handicapé.e. Non, je ne suis pas

handicapé.e, j'ai un nom, j'ai une personnalité, je suis comme tout le monde. Il y a des

choses que j'aime et des choses que je n'aime pas.

Je ne résume pas mon handicap.

(Musique Impactante)

Et c'est ça, c'est douloureux de se dire qu'à un moment donné, des gens vous résument au

handicap. Ça, c'est terrible et c'est ça qu'il faut changer. Donc peut-être qu'il faut arrêter de

parler de personnes handicapées.

07:51 Marguerite, la narratrice :

Ça, c'est la réflexion qu'on a eue dans la première question qu'on posait : Quel est le bon

terme ? On a discuté avec Henri-Jacques Stiker qui…

08:00 Carole Besson :

Qui était à l'AGEFIPH ?

08:02 Marguerite, la narratrice :

Oui, et il nous a dit :

08:04 Henri-Jacques Stiker :

Il n'y a pas un seul bon terme. Parce que quand on réfléchit, on peut être déficient et pas en

situation de handicap, etc. Donc il n'y a pas de bonne expression. Ce qui est important, c'est

de toujours faire voir que le handicap, ce n'est pas une caractéristique définitive d'un

individu, mais que c'est une relation entre un individu avec un certain nombre de

caractéristiques plus ou moins importantes par rapport à sa capacité, notamment de travail

et l'environnement, comme on dit.

Donc, c'est une relation, le handicap, ce n'est pas un état, c'est ça qu'il faut faire

comprendre. Ce n'est pas un fait naturel, c'est un fait social parce qu'il est toujours en

situation.

(Musique dynamique)

08:56 Marguerite, la narratrice :

Et si on se posait la question ensemble de : Comment on parle du handicap ?

Vous, par exemple, vous dites quoi ? Vous utilisez quels termes, quels mots ? Vous dites

comment, quand vous voyez une personne avec un handicap ? Quand vous parlez d'elle,

vous mentionnez son handicap ? Vous la décrivez en trouvant une autre caractéristique que

son handicap ? Et quand les gens parlent de vous comment vous pensez qu’ils parlent de

vous, de nous ?

Différentes voix qui passent d’une oreille à une autre et semblent chuchoter :

« Tu sais c'est la fille qui fait toujours…Mais si, c’est celui qui arrive jamais à… Et tu sais,

c'est l'autre qu'il faut toujours… »

Ça, vous ferait quoi d'être résumé à une difficulté ou une limitation ? …

… Bon, vous pouvez aussi reprendre l'épisode avec Henri-Jacques Stiker, un expert sur le

sujet du handicap.

09:38 Henri-Jacques Stiker :

Je suis donc Henri Jacques Stiker, donc ça fait près de bientôt 50 ans que je suis dans le

monde du handicap. Ma spécialité, c'est de l'anthropologie historique. Alors évidemment,

c'est un peu barbare mais c'est-à-dire que c'est l'histoire, mais à travers les systèmes de

pensée.

09:53 Marguerite, la narratrice :

Donc, Henri-Jacques Stiker, c'est ce qu'on pourrait appeler un anthropologue du handicap.

Et il a un parcours à la fois d'universitaire et d'homme de terrain.

10:00 Henri-Jacques Stiker :

Je m'étais aperçu, quand je suis arrivé dans le monde du handicap, qu'il y avait à peu près

rien en termes d'études. Donc j'ai eu la chance, ou le malheur, haha ça dépend, d’être un

des premiers à vouloir travailler là dessus et à écrire là dessus.

(Musique douce d’une ancienne petite boite à musique à manivelle)

10:21 Marguerite, la narratrice :

Est-ce que vous pensez que le fait de dire le handicap, ça rajoute le handicap ?

10:27 Henri-Jacques Stiker :

Ben évidemment, dès l’instant où vous donnez une étiquette, la tentation et la tentative c'est

de fixer la personne dans cette étiquette. « C’EST un paraplégique, C’EST un handicapé

mental, C'EST etc… ». Dès l'instant où on prononce ce genre de termes et qu'on met

l'accent sur la déficience comme si, en plus, elle définissait complètement la personne, on

essentialise, comme on dit en termes philosophiques.

Là, évidemment, on bloque la personne et on se bloque soi-même dans une représentation

restrictive limitative, alors que la personne est beaucoup PLUS, beaucoup AUTRE CHOSE

que son handicap, quel qu'il soit. Et notamment parce que son environnement, comme

beaucoup dans la façon dont elle éprouve des difficultés dans la vie.

11:33 Arthur Aumoite :

Personnellement, le terme “situation de handicap” aujourd'hui me va bien. Au début, je

trouvais que ça faisait un peu périphrase. C’est comme quand on dit « Oui, c'est une

personne non-voyante » oui bah c’est un aveugle quoi, c'est pas grave !

Il y avait un peu ce côté là de « oh la la, c'est précieux ». C'est un peu l'arbre qui cache la

forêt.

Et après, je l'ai compris « en situation de handicap » parce qu'il y a des situations où je suis

handicapé, par exemple pour faire un remplissage d'un formulaire : là, je vais être en

situation de handicap. S'il faut répondre à des questions dans un podcast, il n'y a pas de

problème de handicap parce que je n'ai pas de problème de handicap avec la

communication ! C’est à mon avis; sur ces trucs là qu'il faut vraiment acter et changer ces

représentations là.

Et c'est exactement ce qu'il y avait comme idée de fond quand je parlais de situation de

handicap. C'est comprendre qu'il y a le handicap, oui, il est là, mais qui s'exprime dans

certaines situations, et que par ailleurs, je ne suis pas du tout handicapé pour bien d'autres

choses. Et donc je ne suis pas que en situation d'incapacité visuelle, mais j'ai beaucoup

d'autres capacités auditives, de compréhension, de représentations mentales, de

communication, de force de conviction, etc. De tous ces trucs là, je ne suis pas du tout

handicapé et je pense que j'en suis encore moins handicapé parce que je suis handicapé

visuel et que j'ai appris à compenser autrement.

12:49 Marguerite, la narratrice :

Je vous propose d'écouter un autre exemple raconté par une femme qui s'appelle Stéphanie

Gateau, qui est multi entrepreneuse, qui a une cinquantaine d'années, qui travaille dans la

stratégie internationale et qui est plein d'autres choses que sa surdité.

(Ambiance de salle de réunion, avec des bruits de travaux assez fort qui empêchent

d’entendre la réunion)

13:08 Stéphanie Gateau :

Vous êtes dans une salle de réunion, il y a des travaux à côté: moi, je peux suivre

agréablement et en toute tranquillité la réunion parce que je vais lire sur les lèvres de tout le

monde.

(Les bruits des travaux disparaissent et on entend parfaitement des voix qui parlent

distinctement)

Vous vous allez rien entendre et vous serez juste paumé pendant tout le temps de la

réunion.

Les limites ça dépend toujours de la où on les placent. Si sur la visio, on voit 25 participants,

moi j’ai pas le temps de savoir qui est entrait de parler

(On entend un brouhaha de personnes sans réussir à distinguer quoi que ce soit)

Le temps que je trouve les personnes qui bougent les lèvres, il est trop tard, on a déjà

rebondi sur autre chose et j'ai perdu la moitié de la phrase.

13:46 Carole Besson :

Pour moi, la référence c'est la loi de février 2005 qui donne une définition du handicap. Je

n'ai pas en tête la définition précise.

13:58 Marguerite, la narratrice :

Je me permets d'interrompre Carole Besson de l’AGEFIPH pour vous donner la définition

officielle du handicap. La voici:

Bruits de foule dans une très grande salle suivis de coups de marteau pour demander le

silence, cette ambiance évoque l’assemblée nationale ou en tout cas une vaste salle remplie

de personnalités politiques qui votent des lois. La voix parle fort et distinctement comme on

le ferait pour un discours officiel :

“CONSTITUE UN HANDICAP, AU SENS DE LA PRÉSENTE LOI, TOUTE LIMITATION

D'ACTIVITÉ OU RESTRICTION DE LA PARTICIPATION À LA VIE EN SOCIÉTÉ SUBIE

DANS SON ENVIRONNEMENT PAR UNE PERSONNE EN FONCTION D'UNE

ALTÉRATION SUBSTANTIELLE, DURABLE OU DÉFINITIVE, D'UNE OU PLUSIEURS

FONCTIONS PHYSIQUES, SENSORIELLES, MENTALES, COGNITIVES OU

PSYCHIQUES, D'UN POLYHANDICAP OU D'UN TROUBLE DE SANTÉ INVALIDANT ».

(Le bruit de foule s’estompe)

14:29 Carole Besson :

Dans les grandes lignes, elle ne résume pas le handicap à la personne. Le handicap, c'est

la résultante de l'interaction entre la personne et son environnement. À partir du moment où

on lève les obstacles de l'environnement, la personne peut ne plus être en situation de

handicap. Donc pour moi, quand je parle de personnes en situation de handicap, j'ai ça en

tête, j’ai la loi de 2005 qui ne résume plus le handicap à la personne ni à sa déficience, mais

bien à la situation dans laquelle elle se trouve par rapport à un environnement donné.

(Bruits de personnes à la cantine qui parlent ensemble)

15:13 Marguerite, la narratrice :

Imaginez que vous arrivez à la cantine, rejoignez une table, vous lancez la conversation et

vous vous rendez compte que tout le monde parle la langue des signes sauf vous. Là, vous

voyez, c'est la situation qui crée le handicap.

(L’ambiance de la cantine devient silencieuse d’un coup, tout le monde se tait)

15:35 Arthur Aumoite :

« Le handicap », alors déjà, on dit « le handicap », mais à mon sens, il faut parler « DES

handicaps » parce qu’on met en quelque sorte dans la même case, un profil et des profils

très très variés.

Il va y avoir des personnes qui vont être en situation de handicap depuis leur naissance

jusqu'à leur mort. D'autres, ça va arriver à un moment parce qu'un accident de la vie ou une

maladie chronique, ou quelque chose comme ça, qui va survenir à un moment. Il va y avoir

un avant, après. Et puis il y a des handicaps qui vont être visibles, d'autres invisibles,

d'autres qui commencent invisible et qui finissent visible.

Comme moi, il y a quelques années, quand je vous disais : on ne me voyait pas dans la rue.

Aujourd'hui, on me voit de loin avec mon berger allemand avec écrit « Chien guide »

dessus. Pourtant, j'ai pas changé entre les deux, mais j'ai fait mon “coming out” en quelque

sorte, et en général l'image qu'on en a dans la société, c’est ce petit bonhomme blanc sur

un fond bleu qui est avec une roue derrière lui.

Donc on a une représentation extrêmement tronquée parce qu'on ne voit que 2 %. Donc

c'est un tout petit bout de l'iceberg qui dépasse. Et en dessous, il y a un mastodonte énorme

qui est fait de plein de personnes différentes, avec des spectres finalement, des capacités et

des difficultés très très différentes les unes des autres.

16:41 Carole Besson :

Le handicap de naissance, contrairement à ce qu'on pense tous spontanément, c'est

seulement 15 % des handicaps, alors que 85 % des déficiences surviennent après quinze

ans. Ce qui veut dire que dans l'immense majorité des cas, le handicap s'acquiert au cours

de la vie. Donc ça, c'est vraiment un postulat important. Une personne sur deux va être au

cours de sa vie confronté à une situation de handicap, qu'elle soit provisoire ou durable.

En gros, ça veut dire qu'on est tous concerné.e.s.

(Musique entrainante)

17:15 Marguerite, la narratrice :

Une personne sur deux est - ou sera - confrontée au handicap. Une personne sur deux !

Donc soit c'est vous, soit c'est la personne en face de vous ou là juste à côté, parce que

c'est forcément la moitié des personnes qui nous entourent. Donc, si vous vous demandez

qui est celui ou celle qui a un handicap et que vous ne remarquez rien, si vous pensez qu'il

n'y a personne dans ce cas là, c'est peut être que le handicap est invisible.

Et d'ailleurs, est-ce que vous connaissez les différentes situations qui se cachent derrière le

mot handicap ? Moi, franchement, non. Par contre, Carole Besson, qui travaille à

L’AGEFIPH, oui.

17:48 Carole Besson :

Les différentes déficiences, on peut les catégoriser en sept grandes familles. Donc la

déficience motrice, c'est 45 % des handicaps. Les maladies chroniques évolutives ou

invalidantes, 20 %. Elles touchent une personne sur cinq en France. Autre déficience : les

déficiences sensorielles, donc la déficience visuelle. Là encore, le super stéréotype, c'est la

canne blanche, alors qu'en réalité, une personne qui est déficient visuel, elle, n'est pas

forcément aveugle.

La déficience auditive, le stéréotype, c'est la personne sourde qui signe ou qui dit sur les

lèvres, alors qu'il y a vraiment différents degrés dans la perte d'audition. Et déficience

mentale, y compris la déficience cognitive. C'est ça la déficience intellectuelle. On confond

trop souvent la déficience mentale avec la déficience cognitive. Et la déficience cognitive,

elle, elle n’entraîne pas de diminution du niveau intellectuel.

Il y a juste des fonctions cognitives qui sont touchées. C'est le cas des “Dys” : dyslexie,

dyspraxie, dyscalculie, dysorthographie. Ce sont des troubles de l'attention ou de la

perception. Une autre déficience qu'on confond à tort avec la déficience mentale, c'est la

déficience psychique. Quand même 13 %. Là, on est sur une personne qui a toutes ses

facultés mentales, intellectuelles, mais qui peut par exemple souffrir d'un déficit relationnel,

avoir des difficultés de concentration.

C'est le cas des personnes qui souffrent de névroses, de toc, de dépression. Voilà, je crois

qu'on a bouclé la boucle.

(Musique Impactante)

19:35 Marguerite, la narratrice s’adresse à Henri-Jacques Stiker :

On parle du handicap et on nous a repris plusieurs fois en disant qu’on pourrait parler “des”

handicap.

19:40 Henri-Jacques Stiker :

Oui, il faut toujours mettre ça au pluriel, évidemment, mais il y a aussi un singulier à

maintenir, si j’ose dire. Juste dire que, quel que soit ce qu'on appelle la déficience, il y a

toujours un rapport. Et j’insiste là dessus, c'est un rapport entre les caractéristiques de la

personne et tout ce qu'on peut mettre sur le thème d'environnement.

Et donc l’handicap est toujours au pluriel. C’est évident et c'est pour ça qu'il faut se méfier

de termes qui sont stigmatisants. Il faudrait à mon avis sortir de toutes les catégories, ce qui

ne veut pas dire qu'il ne faut pas tenir compte des caractéristiques de la personne. Tous les

humains se situent dans un continuum et donc à chaque fois, il faut regarder l'individu tel

qu'il est.

(Musique entrainante)

20:40 Carole Besson :

Quand on arrive à l’AGEFIPH, on a une formation sur la déconstruction des a-priori, sur le

handicap. Et en fait, c’est assez stupéfiant de découvrir que c'est un biais absolument

cognitif, c'est-à-dire que le cerveau ne peut pas s'empêcher de faire des catégories. Il fait

des catégories pour tout, y compris avec les êtres humains, malheureusement.

Et donc, c'est un travers, un biais auquel personne n'échappe. Donc, quand vous pensez

aux personnes handicapées, ça va venir interpeller du stéréotype ancré en nous depuis

l’enfance. (Musique mélancolique) On était beaucoup, effectivement, comme vous dites,

dans un sentiment de pitié, voire même se dire « c'est des gens qui sont malheureux dans

leur vie ». S'il y a une chose à faire, c'est expliquer aux gens que le handicap, c'est pas ça.

(Musique qu’on stoppe brusquement comme un disque vinyle qu’on arrache et laisse place

de nouveau à la musique entrainante)

Et ça passe par - et c'est ce qu'on essaye de faire avec les entreprises - tout ce processus

de déconstruction des a-priori, des stéréotypes, des préjugés, qui est fondamental. On a

cette capacité, spontanément, quand on n'a pas vécu le handicap dans sa propre vie, de

mettre les gens dans des cases et d'être enfermé dans ce cliché.

21:52 Marguerite, la narratrice :

Exactement ! Les clichés, les biais cognitifs qu'on a toutes et tous intégré.e.s

inconsciemment, c'est le point de départ de tout ce qu'on va aborder dans les prochains

épisodes. Ces discriminations arrivent tous les jours, et notamment au travail, avant même

l'entretien d'embauche. Et c'est justement le sujet du prochain épisode.

Voilà, ça fait 20 minutes que nous parlons du handicap. Alors maintenant, je vous propose

une mise en situation. (Musique d’une sonnerie de téléphone et d’une personne qui tape sur

un clavier, pour créer une ambiance de bureau)

Imaginons un entretien d'embauche avec un ou une candidate qui a signalé son handicap.

Tout se passe bien et à la fin de l'entretien, au moment de se dire au revoir. La personne

chargée du recrutement s'exclame spontanément : “Bon, finalement, ça va vous ressemblez

pas à un.e handicapée ! ». (Musique rock avec une guitare électrique qui arrive tel un coup

de poing sur la table qui rompt le silence)

Qu'est-ce que vous en pensez ? Qu'est-ce que vous ressentez quand vous entendez ça ?

22:40 Stéphanie Gateau :

Pour déconstruire, je dis n’importe quoi, par exemple un mur. Avant de le réduire en petit

cailloux, il va falloir donner de sacrés coups d'impact, et il faut que ces impacts viennent de

tout le monde !

22:50 Marguerite, la narratrice :

Avant de passer au prochain épisode. Je récapitule ces bonnes pratiques que nous avons

abordées.

- Souvenez-vous que le handicap n'est pas inhérent à la personne mais à la situation dans

laquelle elle se trouve.

- Deuxième point : on ne doit plus jamais entendre de termes comme “la sourde, l'aveugle,

l'handicapé”, vous êtes d'accord ?

- Et enfin, rappelez-vous qu'il n'y a pas un seul bon terme, mais sans doute plusieurs.

- Et que si vous devez parler du handicap, le meilleur terme, c'est celui que la personne

concernée aura choisi. Donc restez à l'écoute. Merci. Et rendez vous au prochain épisode.

Et d'ici là:

3 Voix différentes énoncent avec énergie :

Au boulot ! Au bou-lot ! AU BOULOT !