"Au boulot ! ou comment déconstruire les discriminations autour du handicap au travail" est un podcast de la Sécurité sociale réalisé par Marguerite Fouletier et Romain Rabier, en partenariat avec l’Agefiph. En plusieurs épisodes, suivez la parcours d'une personne en situation de handicap, découvrez les endroits où se cache la discrimination et retenez les bonnes pratiques pour l'éviter ... pour qu'un jour, il n'y ait plus besoin de faire de podcast sur le sujet !

Dans cet épisode, il est question de l'entretien d'embauche, de l'annonce et du cv . Faut-il cacher ou dévoiler son handicap ? Qu'est-ce que ça engendre et qu'est-ce qui freine cette annonce ?

Un podcast signé la Sécurité sociale:

00:04 Musique entrainante puis diverses voix se succèdent et disent :

Une personne sur deux dans sa vie va se retrouver un jour en situation de handicap. Ça veut dire

quoi ? Ça veut dire qu'en réalité, on est tous concerné.e.s.

Une autre voix dit :

Je suis tombé malade au cours de mon premier emploi, de ma vie.

Une autre voix dit :

Vous êtes une femme, vous êtes jeune, vous voulez faire de la stratégie internationale, vous êtes

polyhandicapée je vous promets 25 ans de chômage.

Une autre voix dit :

Des discrimination dans le travail, oui.

Une autre voix dit :

Moi j’ai cette liberté de parole parce que je suis à mon compte, je serai dans une société, est-ce

que je devrais dire dans ma boîte, on m’a pas recrutée parce qu'on estime que je suis pas

compétente, parce que j'ai ça et ça.

Une autre voix dit :

Et là, il me dit tout de go “Ah ben moi, c'est fini, plus jamais je recruterai une personne en situation

de handicap.

Une autre voix dit :

J'ai bugué, j'ai freezé, mon cerveau, il s’est débranché. Il a fait : « Non mais là, autant de conneries

dans une toute petite phrase ! pfffff”. »

(Bruit de moteur qu’on débranche d’un coup sec)

0:43 Marguerite, la narratrice :

Vous êtes en train d'écouter “AU BOULOT ! ou comment déconstruire les discriminations autour du

handicap au travail”. C’est un podcast produit par la mission handicap de la Sécurité sociale et

réalisé par Marguerite Fouletier et Romain Rabier.

Dans le premier épisode, on a parlé, vocabulaire. Et l'expression “en situation de handicap”

semble être la plus appropriée puisqu'elle pointe l'environnement qui crée le handicap plutôt que le

handicap en lui-même.

Même si la meilleure expression pour parler du handicap, c'est celle que la personne concernée va

elle-même utiliser.

(Changement de musique, plus énigmatique)

Dans ce deuxième épisode, nous allons nous pencher sur les discriminations qui interviennent au

moment où tout commence. (Arpège de toutes les notes blanches d’un piano donnant la sensation

qu’un conte de fée va débuté)

Il était une fois l'entretien d’embauche.

(Bruit de conversations)

01:23 Stéphanie Gateau :

J'avais été recommandée auprès de cette société. Le PDG m'accueille (bruit d’une personne toque

à la porte et qui l’ouvre) et là, j'avais ma casquette de dirigeant de cabinet en stratégie

internationale.

J'avais fait ma petite étude. Je savais les questions que je voulais lui poser et les réflexions que je

voulais commencer d'amorcer avec lui. En fait, cette personne s'est conduite assez mal.

Elle me reçoit sans me regarder dans les yeux.

Elle se sert un café, elle ne m'en propose pas. (Bruit de cafetière)

Elle joue avec sa clim pour la régler. (Bruit de clim)

Elle est tout le temps debout. J'étais assise et je parlais en continu.

Et puis, à un moment donné, elle s'arrête net devant moi. Elle s'assoit en s’affalant sur son siège

et elle me dit: « Mais en fait, vous êtes intelligente » et là, j'ai eu un choc parce que je me suis dit,

mais qu'est ce qui fait que cette personne ait pu se dire, « alors, elle fait de la stratégie, ok, à

l'international, mais elle a peut être que deux neurones. »

Et en fait, à la fin de l'entretien, j'en ai parlé librement avec cette personne et elle m'a dit: « Mais en

fait, on m'avait dit: Tu verras, attention, elle est handicapée. »

02:31 Marguerite, la narratrice :

Qu'est ce que vous pensez de cette histoire ? D'après vous, qu'est ce qui s'est passé chez ce

recruteur pour que “handicapé” soit forcément synonyme d’incompétence ? D'après Karim

N'Diaye, scientifique spécialiste du cerveau qui travaille à l'ICM, l'Institut du Cerveau et de la

Moelle épinière, il s'agit d'un biais cognitif qui s'appelle: l'effet de halo.

02:51 Karim N’Diaye :

L'effet de halo, c'est le biais qui consiste à étendre une caractéristique d'une personne sur la base

d'une information ou d'une certaine caractéristique de cette personne. Par exemple, des

personnes qui ont des difficultés à se déplacer. On en déduit qu'il y a une difficulté à gérer une

équipe, par exemple.

03:08 Marguerite, la narratrice :

L'effet de halo. C'est un biais cognitif parmi les autres, parce que des biais cognitifs, il y en a

beaucoup et ils n'épargnent personne. C'est pour cette raison qu'ils sont à la base de préjugés qui

nourrissent la discrimination. Qu'on le veuille ou non, c'est comme ça

03:21 Karim N’Diaye :

Un biais cognitif, c'est une erreur dans le traitement de l'information, mais une erreur qu'il ne faut

pas voir comme quelque chose de négatif, nécessairement, c'est une erreur qui est en général pas

une erreur, et elle est efficace, c'est à dire qu'elle nous économise de la ressource cognitive. Donc

c'est utile en fait. Mais évidemment, il y a des cas où ça pose problème.

(Musique entrainante)

03:42 Marguerite, la narratrice :

Je vais vous demander de penser à une personnalité politique ou scientifique.

(Bruit de foule qui acclame quelqu’un)

C'est fait ? Maintenant, laissez-moi deviner.

Il s'agit plutôt d'un homme, plutôt valide, plutôt blanc ? Si c'est le cas, vous venez de faire

l'expérience du biais d'accessibilité, c'est à dire que le modèle qui arrive en premier dans votre

esprit ne va pas laisser la place à un autre type de personne, par exemple à une personne en

situation de handicap.

Et ça pose un problème, surtout au moment du recrutement

04:10 Karim N’Diaye :

Tout biais d’accessibilité, c’est-à-dire que des informations qui sont saillantes vont être plus

accessibles et donc on va s'accrocher dessus au départ, vont faire que notre recherche

d'information ne va pas être exhaustive et on va créer des situations de discrimination puisque du

coup, on va penser toujours aux mêmes personnes et tout le monde va penser un peu aux mêmes

personnes, ce qui fait qu'on va négliger toute une autre partie des gens.

Et ce n'est pas une démarche active. C'est simplement que, si on doit penser à quelqu'un,

spontanément. On va avoir ce biais qui va nous faciliter la représentation typique de la personne

qu'on cherche comme une personne qui va être par exemple, un homme plutôt valide, plutôt en

situation de réussite sociale, etc.

Alors qu'il y a des gens tout à fait aussi compétents pour effectuer ce travail là, qui pourraient être

soit des femmes, soit des personnes qui n'ont pas cette réussite sociale, soit des personnes qui

ont des handicaps, soit des personnes de couleur, etc. Donc les biais peuvent créer des

discriminations par ces mécanismes qui nous échappent en fait.

(Musique entrainante qui reprend)

05:19 Stéphanie Gateau :

Tout le monde devrait s'arracher mon profil puisque je suis une femme, j'ai plus de 50 ans, je suis

handicapée et je lui ai dit: « Vous vous rendez pas compte, vous passez à côté d'un truc extra. »

Je suis Stéphane Gateau, j'ai 54 ans, j'ai trois enfants.

Je suis ce qu'on appelle multi entrepreneuse puisque j'ai un cabinet de conseil en stratégie

internationale. J'ai créé une start-up dans le domaine du handicap et des aidants qui s'appelle :

Andyroad. J'ai également créé une association pour promouvoir la diversité et l'inclusion. À côté de

ça, je suis polyhandicapée, j'ai des troubles moteurs, j'ai une dégénérescence osseuse et

musculaire. J'ai une fibromyalgie, je suis atteinte de surdité, j'ai des troubles cognitifs, des troubles

de mémorisation, je suis autiste asperger et… et je crois que c'est tout (elle rit).

(Musique entrainante)

Mon but c’était quand même faire de la stratégie internationale. Or, ce que je vous ai pas dit, c’est

que, je suis sortie de l'école, tout le monde se battait pour recruter les étudiants. Alors moi,

personne ne s'est battu parce que j'ai osé dire, (je me suis dit qu’il fallait bien que je le dise à un

moment donné parce qu’ils allaient finir par s’en rendre compte, surtout si on m’embauche) donc,

j’ai osé dire que j'avais des petits soucis, (ils étaient tout petits pourtant au début).

Et tous les cabinets m’ont fait la même réponse, ils m'ont dit: « Ecoutez, vous êtes une femme,

vous êtes jeune, vous voulez faire de la stratégie internationale, vous êtes polyhandicapée. Je

vous promets 25 ans de chômage.

(Bruit d’orage et de pluie)

Donc ça a été vite fait. Il y a eu une semaine où ils avaient fait un événement, comme tous les ans

avec les cabinets de recrutement. En une semaine, je savais que personne ne me prendrait. Ça ne

m’a pas empêché de quand même exercer mon métier. Mais au début j'étais quand même assez

mal partie.

07:22 Marguerite, la narratrice :

Promettre 25 ans de chômage à Stéphanie Gateau parce qu'elle est polyhandicapée, c'est

clairement un biais cognitif.

(Bruit d’un métronome comme dans les émissions de questions/réponses)

Et j'hésite entre l'effet de halo ou celui du statu-quo qui fait que en moyenne, nous allons préférer

et donc choisir des personnes qui nous ressemblent. Donc si dans une entreprise ou même dans

un milieu professionnel, les personnes en situation de handicap ne sont pas représentées. D'après

vous, qu'est ce que ça provoque ? Qu'est ce que ça véhicule ? Je vous pose la question à vous,

mais c'est Karim N’Diaye qui va nous répondre.

07:51 Karim N’Diaye :

Le statut-quo, oui, c'est un phénomène. Par exemple, les gens vont avoir tendance à minimiser le

risque et dans l'incertitude, ils vont plutôt essayer de jouer la sécurité. Et donc, évidemment, quand

les gens ont l’air plus différents, on a l'impression qu'on les connaît moins et qu'on a moins

d'informations sur eux. Et du coup, la pente naturelle, c'est d'aller vers plutôt quelque chose de

sécure.

On va plutôt aller vers cette école-là qu'on connaît bien et au moins, on a déjà l'expérience.

On va avoir tendance à recruter des gens qui nous ressemblent et donc, les gens qui sont

visiblement différents, (et c'est important “visiblement”) parce que ça va avoir un impact négatif sur

leur possibilité d'accéder, par exemple, à un recrutement. Donc ça, c'est un biais qu'on retrouve du

côté du recruteur.

Mais ça peut aussi avoir un biais du côté du recruté.

(Bruit de brouhaha dans une salle)

C'est-à-dire que si je me présente à un jury avec des gens qui ont l'air tous différents de moi, je

vais me sentir comme “out of the group”. Ça, ça a été très bien décrit, sur la discrimination liée au

genre, le fait d'avoir des présence de femmes dans des jurys va permettre aux candidates femmes

de se sentir beaucoup plus à l'aise à l'oral face au jury que si c'est un jury composé que

d'hommes.

Et donc ça, on peut bien penser que ça vaut aussi dans la situation du handicap. C'est-à-dire

qu'une personne qui est en situation de handicap visible, peut se retrouver comme discriminée,

avant même d'avoir été recrutée. Parce qu'elle a l'impression que ce ne sont pas des gens comme

elle qui sont en face d'elle.

09:10 Marguerite, la narratrice :

Ce biais de statu-quo qu'on vous retrouve autant du côté recruté que de l'entreprise qui recrute,

peut se mesurer à travers des expériences d'envoi de ses effectifs, qui ont pour but de générer

des statistiques pour les chercheurs et les chercheuses, comme, Célia Boucher.

Célia Boucher est docteur en sociologie et elle est l'auteur d'une thèse qui porte sur les parcours et

les situations sociales à l'âge adulte, des personnes ayant grandi avec différents types et degrés

de limitations.

Elle a fait cette thèse au sein du LIEP Laboratoire Interdisciplinaire d'Evaluation des Politiques

publiques et Centre de recherche sur les inégalités sociales. Et c'est là qu'on l'a rencontrée.

09:44 Célia Boucher :

Sur le plan statistique, les deux grosses méthodes qui sont employées, c'est d'un côté, ce qui est

le plus médiatique, ce sont les testing, les envois de CV fictifs. Et il commence à y en avoir un

certain nombre depuis les années 2000, même si souvent centrés sur le cas de personnes en

fauteuil. Qui mettent en évidence, selon le type de poste précis qui est visé, le niveau de diplôme,

etc. Il y a des petites variations, mais c'est généralement en moyenne, je dirais de l'ordre du

"facteur deux", de moins de réponses au cv avec, mention du handicap par rapport à, non mention

du handicap, ce qui est quand même assez massif.

J'ai notamment en tête une expérience sur les cv vidéo où, au moment où le fauteuil apparaît à

l'écran, il y a un taux de déconnexion des employeurs, du visionnage de cv, donc là il y a quand

même quelque chose d'assez immédiat qui tend à faire penser à un stéréotype, parce que pas de

temps de réflexion : on voit, on coupe.

Après pour rentrer plus dans les mécanismes, on ne sait pas exactement, est-ce-que c'est

l'employeur qui s'est dit, « C’est une personne handicapée, elle sera forcément pas capable, donc

je la prends pas. » Est-ce-que elle s’est dit “Ah mais il va falloir que j’aménage mes locaux, ça va

faire des coûts”. Ce qui est quelque chose d’un petit peu différent quand même.

(Musique interrogative avec du brouhaha dans une salle)

11:06 Marguerite, la narratrice :

C'est vrai que si l'on n'assiste pas à l'entretien, il est difficile de connaître les rouages de cette

décision du côté de l'entreprise qui recrute. Mais en ce qui concerne la personne recrutée, Karim

Ndiaye nous a expliqué que quand une personne se sent face à un groupe dont il ou elle ne fait

pas partie, le plus souvent, c'est une personne en situation de handicap face à une personne

valide.

Ça ajoute encore un obstacle supplémentaire lors de l'entretien d'embauche. Et ce qui peut arriver,

c'est que cette personne ne réponde même pas à l'offre d'emploi. Eh bien, ça, c'est déjà de la

discrimination. C'est même ce que Célia Bouchet appelle: “de la discrimination indirecte." On

pourrait appeler ça de l'autocensure et penser que c'est une démarche qui dépend de la personne

elle-même, puisque c'est elle qui décide de ne pas répondre.

Après tout, c'est vrai, mais ce n'est pas aussi simple que ça.

11:49 Célia Boucher :

Sur la question de l'autocensure, je préfère généralement parler de pratiques auto-limitatives.

Parce que le terme “censure” amène à dire que, quelque part, les personnes ne font pas quelque

chose qu'elles pourraient ou devraient faire. En fait, c'est une question qui n'est pas évidente.

Dans certains cas, les personnes ont, entre guillemets, de bonnes raisons de ne pas le faire, c'est

à dire qu'elles ont pris l'habitude, avec le temps, de recevoir des refus systématique (buzzer “No”)

à tel ou tel type de candidature où elles ont intériorisé les critères de temps de travail, par

exemple, ou de type de tâches. C'est pas évident en fait.

12:26 Damien Caillaud :

Très souvent, les personnes se disent, “Mais, je ne suis pas capable de” très souvent parce que

l'environnement est aussi conditionné. L'environnement familial, l'environnement amical, « Mais tu

sais, ça va être difficile pour toi, ah mais tu sais, je ne sais pas si toi tu vas pouvoir » je grossis le

trait, mais je pense que parfois c'est un peu le discours entendu ou les propos tenus.

Et en fait, il faut aussi que les personnes en situation handicap se disent « Je suis capable de »,

« Bien évidemment que je peux candidater là », « Bien évidemment que je peux postuler à ce type

de travail ». Si on veut que notre société soit inclusive, il faut que ça soit une société qui soit sans

exclusivité, sans exclusion et sans privilèges.

Alors, je m'appelle Damien Caillaud. Ce n'est pas le plus important. Je suis expert handicap en

entreprise depuis maintenant treize ans. Alors oui, je le suis. Je le dis fréquemment d’ailleurs, que

dans l'écosystème du handicap, on y vient rarement par hasard. On est souvent concerné

directement ou indirectement. En ce qui me concerne, c'est directement. J'ai une maladie qui

répond au doux nom barbare de, "spondylarthrite ankylosante".

Aucun intérêt de retenir les deux mots. De manière humoristique j'ai tendance à dire que le seul

point positif que j'ai trouvé à ma maladie, c'est que si vous réussissez à placer l'un des deux mots

au Scrabble, ça peut vous rapporter des points. Hormis cette parenthèse humoristique, c’est un

rhumatisme inflammatoire, le surnom de cette maladie, c'est la colonne bambou. C'est la colonne

vertébrale qui se consolide et puis, après les autres hauts du squelette. Donc oui, je suis en

situation de handicap.

(Musique entrainante)

13:41 Marguerite, la narratrice :

Est-ce-que la discrimination indirecte est une discrimination moins forte et donc moins grave que la

discrimination directe ? Qu'est ce que ça provoque après tout ? Moins de candidats ou de

candidates pour un poste ? Écoutez plutôt Stéphanie Gateau, celle à qui on avait promis 25 ans de

chômage.

13:56 Stéphanie Gateau :

On a toujours ce sentiment un peu de honte de ne pas être utile, d'être différent et de dire, « Après

tout je suis pas grand chose. » Mais je pense que si on a cette image d’être pas grand chose et de

peu de valeur, c'est parce que malheureusement… On serait dans une société où on dirait, « On

adore les handicapés. En plus vous êtes plus forts que les autres, vous êtes drôles, vous avez je

ne sais pas quoi… »

Sauf que moi, j'arrive, je parle de sujets douloureux, complexes, qui ne font pas rêver.

Parce que vous me trouvez quelqu'un qui me dit, « Je rêve d'être comme toi », franchement, vous

me le présentez tout de suite.

On est super gêné, parce qu’on a toujours peur d’embêter, peur (peut être) de choquer, de mettre

mal à l'aise.

Et ça, je pense, ce n'est pas commun qu’à moi.

Moi, en fait, mon rêve, c'est que demain… parfois, je rêve un peu, mais pourquoi pas …quand un

manager ou un DRH accueille une personne en situation de handicap, elle le voit et elle dise, « Je

suis trop content de travailler avec vous. » Je pense qu'on a tous besoin des uns des autres pour

construire ce fameux monde responsable, plus éthique, plus juste.

Et moi je dis, ok on y va! Et ce que j'aimerais c’est qu’on laisse pas à la traîne, des gens sous

prétexte qu’ils sont différents, qu’on ne sait pas faire…

15:14 Marguerite, la narratrice :

Et écoutez maintenant Damien Caillaud, celui qui fréquente et accompagne les entreprises depuis

des années.

15:18 Damien Caillaud :

Parfois, l'entreprise est frileuse en fait à recruter parce qu’elle pense que c'est une montagne à

réaliser quand on recrute une personne en situation de handicap.

Je m'explique. La montagne, ça peut être se dire, « Mais il va falloir tout aménager. », « Ça va

coûter de l’argent. », etc.

Et en fait, c'est tout ça qu'il gommer.

(Musique rapide)

Il faut se dire que la plupart des handicaps ne nécessitent aucun aménagement de postes ou très,

très peu. En plus de ça, il y a des organismes qui ont une prise en charge financière.

Un jour, je suis invité à un colloque et je me mets à discuter à un moment donné avec quelqu'un

que je connais, ni d’Eve ni d’Adam. On se présente et là, il me dit tout de go, « Ah ben moi, c'est

fini, plus jamais je recruterai une personne en situation de handicap. »

Bon, ok, très bien, (petit rire) c’est sympa.

Alors plutôt que de tourner les talons, j'aime bien savoir, moi, j'aime bien creuser.

Donc je lui dis, « Est ce que vous pourriez m'en dire, juste un petit peu plus, pour que je

comprenne un peu mieux ? Et là il me dit, « Et bien, c’est très simple. Voilà, un jour je recrute

quelqu’un… » Il m’explique que ça nécessitait une formation pour un poste de travail bien précis

sur une machine. Et visiblement, cette formation avait un coût relativement élevé.

Au retour de cette formation, (alors que la personne est dans sa période d’essai), elle lui dit:

« Voilà, Monsieur, je quitte l’entreprise. » Bien évidemment, lui, part dans le rouge en disant,

« Mais, en fait elle a profité de moi cette personne là. Peut être qu'elle voulait cette formation là,

sur son cv ou autre. »

Alors je lui dis, « Peut être, la perversité n'est pas que l'apanage des gens valides. »

Et je dis, “Vous me dites là, que sous prétexte que vous avez été déçu par un recrutement,

automatiquement, vous avez arrêté de recruter des personnes en situation de handicap. Vous me

dites que vous avez 250 salariés. Donc j'imagine que parmi les gens valides, ça a dû vous arriver

d'être déçu d'un recrutement”. Il me dit, “Bon nombre de fois”, et je lui dis “Pour autant, vous

n'avez pas arrêté de recruter des gens valides”. (La dernière note de la musique résonne en

même temps que le dernier mot de Damien pour souligner la justesse de ses mots)

17:15 Marguerite, la narratrice :

Comment vous sentez vous après avoir écouté cette histoire ? De quelles personnes vous sentezvous

la plus proche ? Quand le handicap est invisible, c’est une vraie question, que de mentionner

son handicap quand les statistiques montrent qu'il existe encore de la discrimination à l'embauche.

Pourtant, c'est la loi. Il est interdit de discriminer une personne à cause de son handicap.

Et d'ailleurs, il y a beaucoup d'entreprises qui se veulent inclusives. Mais si les entreprises

affichent leur inclusivité et que ça ne correspond à aucune réalité,

(Bruit d’un métronome comme dans les émissions de questions/réponses)

17:40 Damien Caillaud :

Il y a une loi qui stipule qu'on doit mettre sur toutes ses offres d'emploi, "Tous les postes sont

ouverts aux personnes en situation de handicap". Elle a le mérite d'exister cette phrase, mais elle

est quand même un peu bullshit un moment donné puisque puisqu'on s'aperçoit que ça n'a pas eu

l'effet recherché.

Et j'explique à chaque fois qu'il faut aller bien plus loin que ça, il faut que l'entreprise, quand elle

présente une offre d'emploi, il faut qu'elle mette dessus cette dimension inclusive. C’est-à-dire à

travers trois ou quatre valeurs. Quelle est sa dimension inclusive ? Quelles sont ses valeurs

organisationnelles ? Enfin, tout du moins, comment elle peut accueillir une personne ?

Mais c’est parler de cette dimension inclusive. Pourquoi ? Parce que ça permet à des personnes

qui peuvent avoir un handicap invisible, qui n'auraient pas forcément mentionné sur leur cv (par

exemple: la RQTH, mais ça peut être un autre, le cas échéant) de se dire, « OK, je postule ici

parce que je sens que cette entreprise est réellement bienveillante. »

18:31 Marguerite, la narratrice :

Lors du premier épisode, nous avions rencontré Arthur Aumoite dont le handicap est devenu

visible depuis son chien guide.

Et avec lui, on réfléchissait au fait de dire son handicap ou pas. Et il disait que chaque décision

revenait à la personne concernée en fonction de ses propres critères. Cela dit, dans le cas où la

personne décide de le dire, est-ce qu'il ne faudrait pas en dire plus ? Dire “Oui, j'ai handicap” et en

plus…

18:51 Arthur Aumoite :

Il y a aussi une valeur ajoutée. C'est un truc tout bête, mais moi, des fois, je discute avec des amis

qui eux ont beaucoup recours à des aides à domicile et ce sont des gens, quand je les entends

parler, j'ai l'impression qu'ils font de la gestion de projet, de la gestion des ressources humaines et

du management, tous les jours. Et donc, ces personnes là ont aussi en quelque sorte une ligne

supplémentaire sur leur cv parce qu'ils ont, du fait de leur expérience de vie, des compétences qui

pourraient peut être, je ne dis pas que c'est vrai pour tout et pour tout le monde (ça serait un

raccourci un peu trop facile) mais ils pourraient peut-être aussi les utiliser dans d'autres endroits.

Et on peut transférer ses compétences-là aussi en compétences professionnelles. Et donc le

handicap peut être une source d'incapacité quelque part, mais une source capacitante qu'on peut

mobiliser ailleurs.

Donc ça, ça fait deux exemples de, commet est ce qu'on peut considérer autrement l'apport du

handicap dans une entreprise ?

19:41 Marguerite, la narratrice:

Stéphanie Gateau a aussi une idée à propos des compétences en plus que peut représenter le

handicap.

19:45 Stéphanie Gateau :

La question de la valorisation, elle est hyper intéressante parce que c'est vrai que jusqu'à présent,

en termes d'image, (on le voit bien à travers les différentes initiatives qui existent) on reste quand

même focus sur le côté, charité, compassion, service rendu. « Ah bah, on doit être dans le quota,

ça y est, on a cinq, bientôt six, youpi, on va plus avoir besoin de s'en occuper. » Cette espèce

d'obligation non pas responsabilité mais obligation. Et c'est ça, à mon avis, qu'il faut aussi changer,

c’est-à-dire que les entreprises le vivent comme une contrainte et pas comme une opportunité.

Ce qui est un peu dommage parce qu’effectivement, moi je dis toujours, (non pas pour promouvoir

les personnes en situation de handicap, mais pour être juste, claire et factuelle) « Ce sont des

gens qui sont plus persévérant que les autres, puisqu’ils se battent tous les jours contre une

maladie ou contre quelque chose, en tout cas, qui les altère dans leur fonctionnement. »

Donc ils sont persévérants, ils sont courageux, ils lâchent rien, ils sont innovants.

C’est ce que je disais tout à l’heure, parce qu’il faut trouver des astuces pour, à peu près, réussir à

vivre comme ceux qui sont autour de vous.

Donc ça, c'est la première chose. La deuxième chose dans la valorisation, c'est vrai qu'il faudrait

être capable aujourd’hui… et on n'apprend même pas à le faire aux jeunes étudiants qui sortent de

l’école. …Mais il faudrait être capable de dire pendant l'entretien, (souvent on dit “ Bah pourquoi je

vous prendrai vous?”) « Vous avez deux profils identiques, mais moi, j'ai vécu telle épreuve. Je

sais me remettre d'une crise, j'ai mis en place des stratégies. » Et moi je pense qu'il y a une vraie

méthodologie pour se relever après une épreuve, telle qu'elle soit.

(Musique impactante qui arrive tel un coup de poing sur la table qui rompt le silence)

On apprendrait aux gens à ne pas avoir honte, déjà de ce qu’ils sont. Parce que la plupart du

temps on s’excuse, même moi, à 54 ans, je continue de m'excuser. Je pense que je continuerais

toujours parce que c'est très long à déconstruire. Et c’est vrai, que d’être capable, aujourd’hui,

qu’elle que soit la personne qui est altérée dans son fonctionnement et où elle n’est pas valorisée

par la société (on sait bien que le handicap n’est pas du tout valorisé, alors qu’il aurait des raisons

fondamentales de l’être). Et bien, forcément, on arrive en entretien et au lieu de dire, « En plus je

sais faire ça, je peux faire ça. Et puis, si on traverse une crise, vous inquiétez pas, je sais gérer, je

rassurerai les équipes. »

Il y a des vrais compétences. Le handicap n'en est pas une. Mais par contre, ce qu'on apprend

grâce au statut de personnes en situation de handicap, ça c'est une vraie expérience parce que ça

a un retour d’usages, un retour d’expériences, tel qu'il soit, bon ou mauvais (parce qu’il y en a

aussi des mauvais, on essaye des choses qui marchent pas toujours).

Et ça, ça va être long mais justement, moi, je pense qu'on arrive à un tournant où aujourd'hui, il

faut vraiment changer et le vocabulaire et le regard et la manière dont on parle du handicap.

Il y a deux chiffres que j'aime beaucoup, c'est une étude très sérieuse. On a mis un groupe

d'hommes et puis on a invité une femme et on s'est rendu compte que l'intelligence collective du

groupe montait quand on mettait une femme dans l'équipe.

Donc ça, j’adore, je trouve ça juste topissime, donc merci.

Imaginez une femme handicapée senior, je pense que c'est du luxe.

(Musique entrainante)

23:03 Marguerite, la narratrice :

Voilà maintenant 20 minutes que nous parlons du recrutement des personnes en situation de

handicap à travers les biais cognitifs à l'origine des discriminations. Et ce que Karim Ndiaye n'a

pas eu le temps de vous dire dans cet épisode, c'est qu'il est plus facile de repérer les biais

cognitifs chez les autres que chez soi. Donc, si vous pensez que ce sont les autres qui sont à

l'origine des discriminations, vous faites probablement l'expérience d'être au coeur d'un biais

cognitif.

D'ailleurs, quand je dis « vous » au lieu de « nous », est-ce que je ne suis pas moi-même en plein

biais cognitif ? Si. Alors permettez que je rectifie. Et à partir de maintenant et dans les prochains

épisodes, je dirai « nous » plutôt que « vous ».

Donc le plus difficile semble être de repérer nos biais ancrés dans nos habitudes. Et pour essayer

de les éviter, Karim Ndiaye et Damien Caillaud ont plusieurs outils à nous proposer

23:46 Karim N’Diaye :

Pour limiter les stéréotypes, il y a plusieurs méthodes. Mais il y a une méthode, qui est connue de

longue date. C'est le fait de, en amont, déjà, de réfléchir à, « Comment on va faire les choses? »

Si on réfléchit pas au « comment ? », on va retomber sur nos routines et on va faire les choses par

habitude. Et du coup, tous les stéréotypes qui se sont ancrés dans nos habitudes, ils vont avoir

cours. Alors que si on dit, « mais je vais réfléchir à comment je vais recruter la personne » ou je

vais réfléchir à « comment je vais évaluer cette personne. »

Si on doit faire en sorte que, par exemple, tous les candidats doivent monter un escalier avant

d'arriver à la salle de recrutement, on sait que ça va impacter les gens différemment. Il faut peut

réfléchir aussi, à la façon dont on construit le protocole de recrutement, par exemple.

Et donc, un des mécanismes, (qui est très bien décrit dans la littérature pour éviter de retomber

dans des biais) c'est justement de mettre à plat, de la façon la plus explicite possible, les différents

paramètres quand on veut prendre une décision, par exemple de recruter quelqu’un. Faisons une

grille de compétences et puis regardons si la personne coche les compétences.

(Musique entrainante)

24:47 Damien Caillaud :

Je me dis qu'une entreprise qui est ouverte aujourd’hui, à recruter des personnes en situation de

handicap, je suis convaincu qu'elle est ouverte sur plein d'autres sujets, d’orientation sexuelle, de

faits religieux ou autres. Et que, bien évidemment, l’inclusion, ça va bien au delà du handicap.

Et puis, au delà de l'offre d'emploi, c'est qu'après dans tout le processus de recrutement, il faut

aussi le rappeler, même un entretien pré-quali au téléphone, dans différentes étapes, que l'on

rappelle cette dimension inclusive que bon nombre d'entreprises ont.

La dimension inclusive fait plus partie du bon sens qu'autre chose.

Marguerite, la narratrice

Pour changer notre regard, nos habitudes. Et pour changer les statistiques sur les discriminations

autour du handicap, j'aimerais récapituler ici quelques bonnes pratiques. Voilà ce que vous

pouvez, pardon, NOUS pouvons faire :

- Insister sur l'inclusivité de l'entreprise à travers l'annonce et tout au long du recrutement.

- Composer un jury avec de la diversité.

- Varier les canaux de diffusion des offres d'emploi, par exemple avec Cap emploi.

- Préparer une grille de compétences recherchées et prendre en compte les épreuves de vie

comme des expériences.

- Inviter une tierce personne qui peut veiller aux différents temps de parole entre les candidat.e.s.

- En ce qui concerne la décision de ne pas se précipiter et noter son propre avis avant de le

partager avec d'autres. Sinon, la première personne qui parle va ancrer et biaiser la décision. C'est

ce qu'on appelle le biais de primauté.

- Se renseigner sur les aides et solutions possibles avant de trouver la situation « compliquée »

auprès de l’AGEFIPH par exemple.

- Et se rappeler que nous sommes toutes et tous pétri.e.s de biais cognitifs.

Stéphanie Gateau:

Et je conclurai sur une phrase qui n'est malheureusement pas de moi, mais je trouve magnifique et

qui m'a beaucoup aidée.

“La différence est cette chose merveilleuse que nous avons tous en commun.”