Justine Solano, chargée de mission à l'association Droit pluriel.

Les professionnels du droit sont confrontés au handicap, parfois sans l’identifier, et se heurtent à ses conséquences.

A.  LA RENCONTRE

Les magistrats,  greffiers  et  greffiers  en  chef  sont  confrontés  à  tous  types  de handicaps : tout citoyen peut être appelé à intervenir en audience. Certaines juridictions sont plus familières du handicap : le juge d’instance, le juge des libertés et de la détention, le tribunal du contentieux de l’incapacité et le tribunal des affaires de la sécurité sociale. Ces magistrats, interrogés, ont parfois le sentiment que leurs matières sont peu valorisées.

Pour les avocats, la spécialisation est déterminante : l’avocat généraliste rencontre davantage de clients en situation de handicap que le spécialiste du droit des affaires, ce qui est logique au regard des difficultés d’inclusion socioprofessionnelles du public handicapé.

On constate aussi que quelques avocats ont choisi de se consacrer à une clientèle  handicapée,  ce  qui,  selon  eux,  peut  constituer  une  orientation  tout  à  fait  viable sur un plan économique. On relève, du côté du justiciable, une tendance à privilégier le choix d’avocats sensibilisés.

Les  notaires  et  les  conciliateurs  de  justice  sont  sollicités,  pour  leur  part,  par des publics dont le handicap est (relativement) bien compensé. En effet, le recours à ces professionnels marque une certaine connaissance de l’univers de la justice. Néanmoins, les notaires sont régulièrement sollicités par les proches de personnes  concernées  par  des  handicaps  parfois  lourds,  soucieux  d’organiser l’avenir.

Enfin, les huissiers de justice sont plus indirectement au contact avec le handicap, ce qui s’explique par le fait qu’ils n’ont pas l’obligation de remettre l’acte en mains propres. Un tiers s’interpose donc régulièrement dans la relation.

De leur côté, les personnes handicapées interrogées ont tendance pour une bonne partie d’entre elles à s’adresser aux travailleurs sociaux pour leurs questions  juridiques.  En  effet,  ces  derniers  leur  sont  familiers  alors  que  l’univers juridique  et  judiciaire  semble  inaccessible  tant  matériellement  (accessibilité, manque d’aménagements) que symboliquement (complexité de la justice ajoutée à la peur d’une incompréhension de leur situation).

B LA CONNAISSANCE DU HANDICAP

L’analyse des questionnaires et les entretiens nous apprennent que le handicap majoritairement rencontré par les professionnels du droit est le handicap mental ou psychique.  

Une  confusion règne  sur  la  distinction  entre  ces  deux  handicaps. L’enquête montre en effet que tout comportement s’éloignant de la norme laisse penser, par  une  sorte  de  réflexe  peu  réfléchi,  que  l’intéressé  est  frappé  d’un  trouble mental ou psychique. Les deux termes sont ainsi utilisés comme des synonymes alors qu’ils recouvrent des réalités extrêmement différentes.

Ce sera par exemple le cas d’une personne qui répond à côté, ne regarde pas son interlocuteur ou le fait répéter, peine à s’exprimer ou à se diriger... Ces situations peuvent pourtant relever de la malentendance, malvoyance, d’un handicap moteur ou cognitif.

En parallèle, associations et personnes handicapées ont le sentiment que leur handicap est mal connu des professionnels et que tout comportement « différent »  est  interprété  comme  l’expression  d’une  déficience  de  leurs  capacités intellectuelles. Ainsi, les difficultés de communication qui peuvent être liées à un problème d’audition, aux séquelles d’un accident vasculaire cérébral, à une infirmité motrice, un trouble Dys, etc., vont être assimilées à une défaillance dans la capacité à comprendre. Ces deux constats se font donc écho.

Les personnes handicapées intellectuelles déplorent, quant à elles, l’idée trop répandue selon laquelle elles ne sont pas en mesure de comprendre ou d’accéder à des connaissances complexes.

Enfin,  les  personnes  concernées  par  le  handicap  psychique  (schizophrénie, paranoïa...)  ont  le  sentiment  que  leurs  troubles  ne  sont  connus  que  dans  leur expression la plus extrême et la plus rare, directement inspirée des expressions cinématographiques.

L’approche du handicap est donc parasitée par des préjugés qui entravent sa connaissance et donc sa compréhension.

De fait, une minorité de professionnels disent avoir rencontré des personnes malentendantes, malvoyantes, Dys ou concernées par tous ces handicaps difficilement identifiables, mais dont les manifestations extérieures n’échappent pas à leurs interlocuteurs.

Enfin, les modes de compensation (outils et techniques) sont peu connus des professionnels du droit, comme du public en général. Ils ne sont par ailleurs pas toujours maîtrisés par les personnes handicapées elles-mêmes. D’une part, chacun trouve son mode de compensation (peu d’aveugles utilisent par exemple le

braille) ou le cherche : le handicap pouvant survenir à n’importe quel moment de l’existence, sa compensation est un défi permanent à relever pour l’intéressé.  Ces  outils  et  pratiques  en  évolution  constante  doivent  être  maîtrisés  des deux interlocuteurs pour être efficients.

C. LE HANDICAP COMME OBSTACLE À L’ACCÈS AU DROIT

Le  handicap  va  entraver  la  relation  lorsque  la  représentation  que  s’en  fait  le professionnel  prend  le  pas  sur  la  réalité  de  la  situation.  Une  fois  la  déficience identifiée,  le  professionnel  doit  connaître  les  réponses  apportées  par  le  droit, d’une part, et les outils et techniques mis à sa disposition pour la compensation.

1. Représentations du handicap

Tous les interlocuteurs, concernés ou sensibilisés, affirment que le handicap est un élément disqualifiant dans la rencontre avec les professionnels du droit. Les associations évoquent une « présomption d’incapacité ».

L’écoute et l’analyse des témoignages apportés par les professionnels du droit permettent d’identifier certaines causes à l’origine de cette interprétation. Un certain nombre d’éléments interviennent en effet de manière défavorable :

- tout d’abord, on ne peut faire l’impasse d’un contexte général. D’une part, le sujet du handicap doit dépasser les freins d’une image négative, véhiculée dans l’inconscient collectif. D’autre part, ce sujet s’impose aujourd’hui alors que les conditions de travail des professionnels de la justice sont toujours plus exigeantes et difficiles ;

– par ailleurs, les difficultés d’accès matériel non encore réglées ont des répercussions néfastes sur la relation (ainsi, un justiciable en fauteuil roulant ne trouvant pas de place de stationnement ni d’ascenseur ni de toilettes accessibles se présentera nécessairement tendu et excédé) ;

– enfin, les techniques de compensation qui pourraient être mises en œuvre par les professionnels du droit ne leur sont pas toujours connues. Il peut également  arriver  qu’ils  ne  sachent  pas  comment  y  avoir  accès  (exemple de l’interprète en langue des signes). S’ajoute à cela une difficulté à dire leur handicap pour les personnes concernées (question de l’acceptation) et à en expliquer les conséquences et les modes de compensation (connaissance et gestion de son propre handicap).

Ce  contexte  va  créer  un  malaise  qui  très  souvent  entrave  la  communication entre professionnels et justiciables.

On  citera  un  autre  exemple  :  les  associations  dénoncent  régulièrement  des décisions concernant des enfants autistes, arguant que ce que les professionnels

du  droit  stigmatisent  comme  des  conséquences  de  mauvais  traitement (1)  ou mauvaise éducation ne sont en fait que des manifestations de l’autisme. Une meilleure connaissance du handicap par les professionnels devrait améliorer sensiblement cette situation. Un travail pédagogique, diffusant une meilleure

connaissance  du  droit  et  du  fonctionnement  de  la  justice  dans  le  secteur  du handicap, serait complémentaire.

2.Méconnaissance des déficiences

Les situations de handicap sont multiples. Les pathologies et maladies influant sur les comportements et les relations ne peuvent évidemment pas être toutes connues dans leurs détails médicaux. Néanmoins, la connaissance des grandes catégories  de  handicap  doit  être  acquise,  cela  tout  particulièrement  pour  les  situations les plus régulièrement sujettes à confusion et fantasme. Droit  Pluriel  constate  en  effet  un  écart  sensible  entre  les  représentations  du  handicap psychique formulées et les situations réelles rencontrées sur le terrain. En ce domaine, la demande des professionnels du droit est forte. Il sera donc opportun  de  transmettre  des  connaissances  tant  sur  les  différents  types  d’atteintes psychiques que sur les techniques d’entretien.

Certaines  pathologies  comme  la  maladie  d’Alzheimer  posent  de  réels  problèmes aux juristes, car affectant la parole et le consentement. Un focus particulier serait donc opportun. Par  ailleurs,  certaines  représentations  erronées  ont  été  largement  entendues  au cours de l’état des lieux : cela concerne notamment les personnes handicapées mentales, présupposées incapables de comprendre ou les personnes autistes dont peu de gens savent qu’elles peuvent ne présenter quasiment aucune manifestation extérieure visible. En dernier lieu, il est essentiel que les professionnels prennent la mesure du handicap invisible.

Une  formation  doit  donc  permettre  de  comprendre  les  conséquences  possibles des déficiences.

 3.Connaître les réponses apportées par le droit

Les  services  juridiques  des  associations  du  secteur  du  handicap  témoignent également du manque d’information des professionnels du droit concernant les dispositions légales, spécifiques au handicap. Ces dispositions se retrouvent dans les principes du droit posés par les textes internationaux  (Convention  internationale  relative  aux  droits  des  personnes  handicapées),  dans  le  droit  commun  ou  encore  dans  le  « droit  à  la  compensation ». Cette dernière matière, dont le contentieux touchant aux enfants est particulièrement important, est peu enseignée. Les justiciables auraient besoin d’interlocuteurs formés sur ces questions.

De leur côté, les professionnels du droit sont souvent confrontés à des situations  de  handicap  complexes  et  déplorent  n’avoir  aucun  référent  vers  qui  se 

tourner. Ils expriment leur solitude dans ces dossiers, où l’échange avec un interlocuteur  éclairé  pourrait  être  très  utile,  ou  au  moins,  permettre  la  prise  de  décisions.

4. Méconnaissances des techniques et outils de compensation

Certaines pratiques de compensation, par exemple l’interprète en langue des signes,  sont  connues.  Pour  autant,  un  enseignement  est  nécessaire  pour  en  comprendre les subtilités et contraintes.