Charlie

Charlie, 1 mois plus tard : qu'en disent les personnes en situation de handicap mental ou psychique ?

Les comédiens de La Bulle Bleue, ESAT artistique à Montpellier, rendent hommage aux victimes des attentats de Charlie Hebdo
Les comédiens de La Bulle Bleue, ESAT artistique à Montpellier, rendent hommage aux victimes des attentats de Charlie Hebdo
Les attentats du mois de janvier à Paris ont suscité de nombreux débats en France et dans le monde entier. Pour savoir comment les personnes souffrantes de handicap intellectuel, cognitif ou psychique ont vécu ou perçu ces évènements, Vivre FM a recueilli des témoignages d'acteurs du handicap (ESAT, associations, fondations...) à travers le pays.

La Bulle Bleue, Montpellier (34)


Audrey Prolhac, Educatrice responsable de la formation des comédiens

" En fait, on a appris la nouvelle après la pause du midi, le chef du service nous l’a annoncé. Deux comédiens ont fortement réagit. Un a éclaté en sanglot, et un autre a écrit un texte assez poignant. On s’est réuni pour en parler. On a essayé de comprendre ce qui n’est pas vraiment compréhensible. Sur les douze comédiens, chacun réagit avec sa sensibilité propre. Pour certains, qui ont des capacités cognitives élevées, c’était très profond, et ils l’ont mal vécu. C'était beaucoup d’affectation. Ils ont compris l’atteinte portée à la liberté d’expression. On les a premièrement informé, ensuite on a attendu leurs questions. On a essayé de répondre de façon factuelle. Effectivement, l'amalgame a pu se créer dans leurs têtes. L’ensemble de l’ESAT a fait en sorte de ne pas juger et, comme je le disais, de rester dans le factuel. La grande majorité a bien compris ce qui s’était passé. Deux autres personnes sont sur un versant de déficience vocale, mais même ces deux personnes là ont pu comprendre la gravité des choses. On a fait une photo forte, qui représente les comédiens allongés sur un drap blanc, formant le prénom Charlie avec leurs corps. Des comédiens ont pris part à la manifestation, essentiellement avec leurs familles. Ils ont énormément discuté des évènements entre eux. On a participé à la minute de silence avec les comédiens. On s’est retrouvé devant l’établissement, on a profité du soleil. Le lundi suivant, ils étaient contents de voir toute la mobilisation, tous les gens. Ça les a rassuré, ils ont repris confiance. Ils ont senti que c'était bien, de se mobiliser pour nos valeurs, pour la liberté d’expression. "

Voici un extrait d'un texte écrit par Arnaud Gelis, l'un des comédiens de la Bulle Bleue (texte intégral en fin d'article) :


"Je vous conchie, manipulateurs de tout bord, vos idées en œillères, tout

comme ceux qui pour des dieux de tolérance, tuent.

Revenir à l’essence, enfin écouter les pins parasols qui font ombre à

l’obscurantisme, la haine et la guerre.

Ecouter, les poumons, délivrer la délivrance, ouvrir les yeux, apaiser les

hommes face à leurs tourments.

Brusquées quand la toile étend ses réseaux, la liberté et la pensée saignent,

loin de nos utopies et idéaux."


Centre d’Accueil et de Rencontre pour Adultes Handicapés (géré par l'Association Régionale Spécialisée d’Action Sociale, d’Education et d’Animation de Strabourg), Colmar (68)


Ibérica Czaja, Directrice 


"Au niveau de l’accueil de jour, il y a eu énormément d’émotion de la part des usagers. Ce sont des personnes en situation de handicap intellectuel. On a fait des groupes de parole. Il fallait d’abord les écouter pour savoir ce qu’ils avaient compris. Il y a eu des échanges. L'idée de la caricature était floue pour eux. Nous avons un atelier photo au cours duquel on s’amuse à déformer des images, pour rire. Ils avaient compris qu’il y avait des morts, des gens blessés, des gens qui pleuraient. Ils sont très sensibles à l’émotion. Elle était palpable. Leur compréhension de l’explication des faits est assez paradoxale. Nous avons un règlement de fonctionnement au sein de l’établissement. Les usagers ont fait un lien avec le respect de l’autre. Le sujet avait été abordé et a pu être mis en lien avec la différence, la façon de penser autrement. Certains ont plus compris que d’autres. Concernant les réactions suite aux évènements, ils étaient surtout sensibles aux images avec les fleurs, les objets déposés. Pour les autres, c’était l’ambiance qui n’était pas la même que d’habitude. C’était plus ce qu’ils ont perçu au niveau de l’émotion. Toutes les familles en ont parlé. Nous avons bien sûr fait la minute de silence dans l’établissement, elle a été respectée. C’était un moment solennel. Certains usagers sont allés au rassemblement à Colmar, surtout avec leurs familles, comme tout avait lieu le week-end. Le lundi suivant, ils en parlaient encore entre eux. Ils ont demandé à retravailler sur le règlement de fonctionnement de l’établissement, notamment sur le respect. Quant à leur capacité d’expliquer aux autres et de discuter, il faut savoir que ce sont des personnes qui sont souvent dans l’immédiateté. Donc avec le recul, il y’a des thématiques que l’on va pouvoir aborder. Cependant, on fait beaucoup d’expression artistique. Le fait de dessiner et de pouvoir tué pour ça les perturbe beaucoup. C’est quelque chose qui est resté en tête."


ESAT Atelier Malecot, Lille (59)


Bernard Dekaister, chef du service éducatif

"Nous avons bien sûr évoqué les attentats de Charlie Hebdo. Les personnes que nous accompagnons sont des adultes déficients intellectuels. Ils sont accompagnés dans le cadre de leurs activités, de 8h30 à 16h30 du lundi au vendredi. J’ai profité du repas, seul moment qu’ils passent en commun pour demander au psychologue de l’ESAT de rassurer les travailleurs, parce qu’ils ne comprenaient pas l’étendue de la situation. Le discours était simple et court. Au regard des réactions d’une minorité, j’ai proposé un groupe de parole le lendemain. J’ai effectivement proposé de respecter la minute de silence du 8 janvier. Je ne pense pas me tromper en disant que 5-6 personnes se seraient mobilisées pour aller sur la place de Lille. Étant donnée la difficulté de compréhension, on n'a pas voulu les sensibiliser en profondeur à la mobilisation. Il fallait dédramatiser. Ils semblaient surtout comprendre que l’on était en guerre. Cela peut arriver n’importe où, aussi bien dans le métro que dans la rue."

 


Les Papillons Blancs de Paris 

Berengère Grisoni - Responsable du service CHRYSALIDE

"Nous en avons parlé à plusieurs niveaux. Quand ça s'est passé j'étais en entretien pour un projet avec une nouvelle bénévole. Elle avait reçu une notification sur son smartphone. On a commencé à le vivre en direct. On n'imaginait pas une telle atrocité. Par rapport aux missions de l'association, on a pu embrayer avec ce pour quoi elle était là, c’est-à-dire donner du temps et apporter de la solidarité aux autres. On en a parlé en début d'après-midi avec les salariés du siège. Le soir, il y avait un bureau avec les membres du Conseil d'Administration, qui en ont parlé, qui étaient très touchés. Je suis allé au rassemblement place de la République avec notre secrétaire générale, dès le mercredi soir. On est parti plus tôt du travail. Comme nous ne sommes pas un établissement, nous ne voyons nos usagers que ponctuellement, lors des ateliers qu'on leur propose, à l'occasion du SMAC (Service Mobile d’ACcompagnateurs), des évènements festifs tous les dimanches de janvier. On en a parlé avec nos personnes handicapées mentales et leurs familles, le dimanche de la manifestation. Nous comptons 1000 familles adhérentes, réparties par antenne d'arrondissement. La fête de l'antenne du 18ème arrondissement avait lieu le 11 janvier. Alors qu’elle regroupe d’habitude 150 à 200 personnes, cette fois-ci il y en avait la moitié, étant donné que beaucoup sont allés manifester. Le président de l'antenne du 18ème a évoqué les évènements dans son discours. Le maire du 18ème s'est aussi excusé de ne pas pouvoir rester, il s'est rendu au défilé avec ses collègues. Ponctuellement, une autre équipe faisait sa galette des rois ailleurs. Les atrocités ont touché tout le monde. Les familles comme les personnes handicapées mentales. On a eu pas mal de retour des familles, qui ne s'y attendaient pas. On est en plein dans ce que l'on revendique, le respect des autres, la tolérance, la solidarité... Nous n'avons pas pu faire la minute de silence tous ensemble, le jour ou le gouvernement l'a instauré, puisqu’aucun temps de regroupement n’était prévu. Ca ne tombait pas pendant un rassemblement des familles, des bénéficiaires. Nous l'avons faite au siège, uniquement nous, les quatre salariés. On a tenu à communiquer là-dessus. On a mis sur notre site internet et notre page Facebook un visuel "Solidaire avec Charlie Hebdo". Nous étions peinés parce que cela porte atteinte à nos revendications. On a publié un texte sur notre site et notre Facebook. Il y avait une grande consternation face à ce carnage. Beaucoup d'adhérents sont allés aux rassemblements, à la marche citoyenne du dimanche. C'était très important pour eux. D'ailleurs, quasiment la moitié n'est pas venue à la fête du 18ème, alors que c'est LE gros évènement annuel, au cours duquel on se réunit autour d'une galette des rois. On ne peut pas généraliser sur comment ils ont vécu les évènements. Il y en a, surtout ceux qui habitent non loin du siège de Charlie, qui ont eu peur. Ils ont été plus précautionneux. Ils se demandaient si ils allaient reprendre le métro, se déplacer dans le quartier, etc… Un peu comme chacun d'entre nous qui a pu réagir différemment. Au niveau de leur compréhension c'est très compliqué. Notre association accueille des personnes handicapés mentales, mais il y en a qui peuvent être très différentes, des personnes trisomiques, avec autisme, d'autres où il n y a pas de possibilité de diagnostic... Celles qui sont en capacités de comprendre en parlent d'elles-mêmes. Certaines personnes handicapées mentales étaient capables d'expliquer ce qui se passait aux autres, d'en discuter. J'ai reçu 2 ou 3 messages sur mon téléphone, de personnes handicapées légères, bien autonomes et qui travaillent en ESAT. Habituellement ces personnes prennent des nouvelles ou font part de leurs retours sur leurs activités, etc... Les messages que j'ai pu recevoir cette fois étaient quasiment les mêmes, me demandant si j'avais entendu ce qui se passait. Ils me disaient tous que c'était vraiment atroce, et qu'on pense bien à toutes ces victimes. Ils ont ressenti une formidable unité et n'avaient jamais vu autant de monde rassemblé."


Texte publié sur la page Facebook des Papillons Blancs de Paris




ESAT De Kerhoas Service Fédération APAJH - Larmor-Plage (86) 


Valérie Peltier, monitrice blanchisserie, repassage, légumerie

"On a parlé des attentats dès le lendemain. On travaillait en demie-équipe. Les travailleurs étaient très demandeurs. Ce sont eux qui nous ont interpellé, sur le fait que des gens s’en étaient pris à des dessinateurs. Ils ne se faisaient pas à l’idée que quelqu’un puisse se faire tuer pour des dessins. Ils étaient très demandeurs du fait de faire quelque chose, de montrer ce qui se passait. Il y’a eu deux minutes de silence. La première sur le midi, comme le gouvernement l’avait décidé, et une autre dans la journée. Une galette des rois avait été prévue, et tout le monde était présent. Quelques uns se sont permis de faire des dessins. Bien souvent, les moniteurs ont engagé la conversation sur les concepts qui sont ressortis suite aux évènements. On a quelques usagers qui n’ont pas hésité à faire quelques kilomètres, vers Lorient ou Quimperlé, pour se rendre aux rassemblements. Certains sont aussi allés aux marches nationales. Les travailleurs sont relativement autonomes, certains vivent en appartement. Pour eux c’était important de s’y rendre. Tout le monde était calme et ému à la fois. Tout le monde était solidaire et ça les a touché. C’est un peu plus compliqué par rapport à leur compréhension. Effectivement, ils ne trouvaient pas ça normal que des gens soient tués pour leurs idées. C’était un peu plus confus. On a parlé du fait que le journal était spécialisé dans la caricature, pas forcément QUE sur les religions. Ils ont bien fait la distinction, entre celles sur Mahomet, et les autres. En même temps, ils ont eu peur de ce qui s’est passé. Ce qui s’explique par le fait qu’on ait beaucoup discuté du concept d’extrémisme. Que ce soit les musulmans ou d’autres, il y a des gens à l’extrême de ce qui doit être fait ou pensé. On a même abordé un petit article d’un supplément « Dis-moi tout » de Ouest France sur les religions. On a une population relativement autonome, ils comprennent bien ce qui s’est passé par rapport à la mobilisation. Ils sont capables de discuter, d’expliquer, mais il ne faut pas que l’on soit très loin, pour contrôler au cas où ça dérape, faire en sorte que tout le monde soit sur la même longueur d’onde."



Fondation des Amis de l'Atelier, Paris


Ghyslaine Wanwanscappel, Directrice général

"Nous accueillons essentiellement des enfants et des adultes en situation de handicap psychiques. Une attention plus particulière a été portée sur ceux qui évoluent à domicile. Beaucoup étaient exposés à des images violentes, à la télévision, sur internet. Il fallait qu’ils soient beaucoup suivis. Dans les établissements, la minute de silence a été respectée. Puis, des discussions ont été entamées, en particulier autour du racisme et de la laïcité. On a fait des assemblées générales pour en discuter. Aucun des résidents qui participaient ne connaissait vraiment Charlie. On a surtout discuté des attentats. On a aussi essayé de les mettre en garde en rentrant chez eux. On a parlé du vivre ensemble. Ils ont été choqués par les images. C’était très compliqué pour la plupart. On a la chance d’avoir des résidents de toutes origines. Beaucoup de directeurs m’ont fait part de nombreux retours de résidents. Certains racontaient qu’ils avaient plusieurs origines, mais que malgré cela il n’y avait aucun souci. Certains ont été gênés, à cause du plan Vigipirate, car des sorties ont été annulées. Nos résidents sont en majorité trop lourdement handicapés pour expliquer les faits. Selon moi, le monde du handicap est finalement plus ouvert que le monde des valides."


Les Ateliers de la Prairie, Villebon-sur-Yvette (91)


Patrick Duval, Directeur

"Nous avons fait dans chacun des ateliers une réunion avec l’ensemble des usagers, travailleurs handicapés, pour expliquer que nous devions travailler sur le vivre ensemble et la liberté d’expression. Nous avons demandé à respecter une minute de silence dans les ateliers dès le lendemain, de façon spontanée, avant même que ne tombe la décision du gouvernement. On a eu très peu de retour, puisque chez nous, la discrimination existe peu, toutes les couleurs et tous les cultes sont dans nos établissements. Ils ont l’habitude de discuter du travaille et du vivre ensemble avec le handicap. Concernant les évènements, il faut en discuter tranquillement, éviter que le ton monte. Mais peu sur cet événement là. Des travailleurs se sont donné rdv à République, nous n’invitons personne, ils y sont allé de leur plein gré. Il n’y a eu aucun refus pour la minute silence. On ne sait pas vraiment si ils ont regardé à la télévision et disent qu’ils y sont allé, on est très distanciés par rapport à ça. Il y’a eu des discussions, certains disent défendre le drapeau, la république. Plus d’une trentaine de personne ont du mal à s’exprimer. Bcp de discussions sur les règles obligées par la loi."


Arnaud Gelis, un des comédiens de la Bulle Bleue, a écrit ce texte en réaction aux attentats. La rédaction de Vivre FM tenait à le partager, avec l'aimable autorisation de son auteur.

"Ecrit le 07/01/2015 par une après-midi de soleil les yeux rougis par les larmes.

Nous avons été mis au banc des sociétés.

Isolés et perdus dans les cachots des républiques.

Nous avons étés jugés inadéquats à votre monde de fous.

Là où des peuplades indigènes voient des chamanes aux dons précieux vous

répondez dans votre peur immense par des prisons aux murs blancs.

Mais c’est l’humanité qui est malade, L’humanité qui crève dans son jus ;

Des poisons toxiques dans les rivières qui dansaient naguère,

Des enfants récoltant les restes des carcasses de l’occident,

Des cages sur les bancs publics pour masquer la misère.

Réveillez-vous ; existent les fantômes d’un monde décadent.

Sciez donc vos cornes, vous qui convoitez tant le pouvoir ou qui en usez, car

aujourd’hui je tire ma révérence et c’est avec la paix et l’amour que je vous fais

cocu.

Je vous conchie, manipulateurs de tout bord, vos idées en œillères, tout

comme ceux qui pour des dieux de tolérance, tuent.

Revenir à l’essence, enfin écouter les pins parasols qui font ombre à

l’obscurantisme, la haine et la guerre.

Ecouter, les poumons, délivrer la délivrance, ouvrir les yeux, apaiser les

hommes face à leurs tourments.

Brusquées quand la toile étend ses réseaux, la liberté et la pensée saignent,

loin de nos utopies et idéaux.