Aviation

Entretien avec Dorine Bourneton, première femme paraplégique pilote de voltige

Dorine Bourneton à côté de son avion (crédits photo @dorineboourneton.fr)
Dorine Bourneton à côté de son avion (crédits photo @dorineboourneton.fr)

Vous avez peut-être déjà entendu parler de Dorine Bourneton. Elle est la première femme paraplégique pilote de voltige au monde, et va même effectuer une démonstration au salon international de l'aéronautique et de l'espace du Bourget, vendredi 19 juin.

Qu'est-ce que ça vous fait d'être la première femme paraplégique pilote de voltige au monde?

 

Pour moi c'est une revanche sur le destin. J'ai eu un accident d'avion à l'âge de 16 ans. De cet accident je suis restée paraplégique. Aujourd'hui, pouvoir piloter un avion à travers cette discipline [la voltige] qui est extrêmement exigeante, physiquement très éprouvante et très technique, c'est une formidable revanche sur le destin.

 

C'est aussi l'accomplissement d'un rêve. Après mon accident je me suis dit que, puisque ma vie commençait par une tragédie, j'aimerais pouvoir accomplir par la suite des exploits. Et quelque part, piloter un avion de voltige juste avec sa tête et ses mains, c'est un exploit. Parce que c'est un peu plus difficile que pour une personne valide, ça requiert un peu plus de force dans les bras, il faut pouvoir compenser la perte d'équilibre dans un avion qui est en perpétuel mouvement. Donc je suis très fière aujourd'hui d'avoir réussi ce pari, qui était un pari ambitieux : je m'étais fixé comme objectif de pouvoir présenter un avion en vol au Bourget, et j'avais moins d'un an pour m'y préparer. J'ai franchi toutes les étapes, j'ai réussi tous les tests, et mon vol est programmé pour vendredi.

 

Normalement, pour faire ce métier, il faut avoir une condition physique parfaite. Comment faîtes-vous ?

 

Oui, j'ai dû passer des tests médicaux très poussés. Et au fur et à mesure, quand on avait un problème, on a trouvé la solution. J'avais notamment des problèmes liés à la circulation du sang. Du coup, je suis obligée de porter des bas de contention , et d'attacher mes jambes avec du velcro pour éviter qu'elles ne s'envolent lors des retournements de l'avion. Je porte aussi une ceinture lombaire pour faire corps avec le siège de l'avion, ce qui empêche mon buste de trop bouger lorsque l'avion est en mouvement. Et j'ai dû reprendre la musculation, évidemment. Piloter un avion juste avec ses bras, ça demande de la force dans les bras. Avec les facteurs de charge, l'avion devient beaucoup plus lourd. Lorsque l'on pilote, il faut avoir suffisamment de force pour pouvoir reproduire des figures parfaites.

 

Parce que la vraie difficulté en voltige, c'est de pouvoir effectuer des figures parfaites. Moi je suis encore une débutante. Je vais effectuer au Bourget des figures élémentaires, mais j'ai très envie d'aller plus loin et avec le temps de m'améliore. Et pourquoi pas faire de la compétition plus tard.

 

Quels sont les spécificités de votre poste de pilotage ?

 

Un avion se pilote habituellement avec les pieds. Il y a ce qu'on appelle des palonniers. Mais pas dans le mien. Mon avion est équipé d'un malonnier, c'est-à-dire un manche supplémentaire que l'on a mis entre les deux sièges, et que j'actionne avec mon bras droit. Lorsque je pousse, l'avion va à gauche, lorsque je tire il va à droite. D'habitude, on fait ça avec les pieds. Par contre, à un moment donné, je suis obligée de lâcher cette commande pour actionner la commande des gaz, ce qui va donner la puissance à l'avion. Je dois gérer 3 fonctions avec mes deux mains. Donc cela demande de bons réflexes, et une certaines habitude dans la gestuelle.

 

Est-ce que ça a été compliqué pour vous de vous habituer à ce poste de pilotage particulier ?

 

Ce qui a été le plus difficile, ça été de vaincre mes peurs. Quand on est débutant en voltige, on a des peurs irrationnelles. Par exemple, lorsqu'on vole sur le dos, on a peur que notre ceinture se détache et qu'on passe à travers le cockpit. Ce sont des peurs qui sont normales. Il faut un certain temps pour les dépasser, pour que notre corps s'habitue. On ne devient pas pilote en un jour. Moi j'ai commencé il y a longtemps, j'ai 800 heures de vol derrière moi, et c'est toute cette expérience qui m'a permis aujourd'hui d'entamer cette formation en voltige.

 

Est-ce que vous vivez encore avec la peur de l'accident de vos 16 ans ?

 

Même si je n'ai pas de souvenir conscient de l'accident, mon inconscient et mon corps se souviennent. Au début, lorsque je faisais mes premières vrilles, j'avais peur parce que, je pense, mon inconscient revivait les secondes qui ont précédé l'accident.

 

Est-ce que vous pouvez faire les mêmes pirouettes qu'un pilote valide ?

 

Avec mon instructeur, je peux faire les mêmes figures qu'un pilote valide. En revanche, pour la démonstration du Bourget, je suis limitée aux figures élémentaires. Je suis un cas unique et, pour des raisons de sécurité, la direction générale de l'aviation civile (DGAC) ne veut prendre aucun risque et me limite pour l'instant aux figures du premier cycle. Je vais repasser une visite médicale en juillet, j'espère cette fois-ci pouvoir obtenir une dérogation médicale complète, qui m'ouvrira sur les figures du second cycle.

 

Qu'est-ce que vous pouvez faire comme figures pour le moment ?

 

Je peux faire des boucles, des tonneaux, des renversements, des retournements sous 45°. Ma figure préférée, c'est la boucle. C'est celle qui me met le plus en confiance. Avec mon instructeur, on commence toujours nos séances par une boucle. C'est un looping par l'avant, on fait un rond dans le ciel. Les sensations sont très agréables.

 

Est-ce que c'est une façon pour vous de montrer à l'industrie aéronautique qu'il faut mieux intégrer les personnes en situation de handicap ?

 

Je pense que l'aéronautique a complètement intégré le handicap. Quand on est handicapé, on peut devenir pilote professionnel, et on peut accéder à tout un tas de métiers aéronautiques. L'association Hanvol accompagne les personnes handicapées vers ces métiers (ingénieurs, techniciens, mécaniciens), des métiers sans lesquels il n'y aurait pas de pilotes.

 

Et c'est vrai qu'à travers notre exemple, on montre que l'on peut toujours repousser nos limites et qu'en équipe, rien n'est impossible. C'est toute une chaîne de compétences qui a permis la création de mon malonnier, et tous ces métiers sont eux aussi ouverts aux personnes handicapées.

 

Retrouvez l'intégralité de son interview lors de son passage dans l'émission "L'invité de la rédaction" lundi 22 juin.