Cannes 2014

Cannes 2014 - The Tribe, le film événement entièrement en langue des signes

The Tribe plonge dans l'univers violent d'un pensionnat pour sourds en Ukraine
The Tribe plonge dans l'univers violent d'un pensionnat pour sourds en Ukraine

The Tribe, film dramatique réalisé par Myroslav Slaboshpytskiy sera présenté à Cannes dans le cadre de la Semaine de la Critique. Il décrit l'univers violent d'un pensionnat pour sourds en Ukraine. Ballet virtuose , vertigineux et hallucinant, le film est aussi une métaphore du peuple ukrainien qui veut s'affranchir de l'oppression.

S ergey , sourd et muet, entre dans un internat spécialisé et doit subir les rites de la bande qui fait régner son ordre, trafics et prostitution dans l'école. Il parvient à en gravir les échelons mais tombe amoureux de la jeune Anna, membre de cette tribu, qui vend son corps pour survire et quitter l'Ukraine. Sergey devra briser les lois de cette hiérarchie sans pitié. Interview avec Charles Tesson, Délégué Général de la Semaine de la Critique.

Vivre FM : Qu'est ce que l'on peut dire du film " The Tribe " que très peu de gens ont pu voir ?

Charles Tesson, Délégué Général de la Semaine de la Critique : "C'est un film ukrainien qui est un premier long métrage et qui se déroule dans un pensionnat pour sourds et muets. Les acteurs, sont  tous des sourds et muets  c'est à dire que ce ne sont pas des acteurs qui signent, qui miment le langage des sourds et muets."

"fascination des gestes, des visages"

Charles Tesson : "Le choix du réalisateur est de ne pas faire de sous-titres pour que l'on comprenne par la langue des signes ce que disent les personnages entre eux. Au debut on se dit mais "pourquoi il ne le fait pas? ", on est un peu exclu de ce qu'ils disent et en même temps commence après une attention,  une fascination aux  gestes , aux visages pour essayer de comprendre ce qui se fait. L'autre aspect du film qui lui est propre, c'est comment ce pensionnat pour sourds et muets est un peu une sorte de métaphore de l'état de l'Ukraine aujourd'hui, à travers des gangs plus ou moins mafieux le  racket, la prostitution et comment un jeune homme qui rentre dans ce pensionnat s'intègre dans ce monde et essaie d'en briser les règles. Le film constitue un expérience unique en tant que  spectateur parce que  tous les personnages sont des sourds muets  et en même temps c'est un film  très parlant car il y a quand même beaucoup de dialogues, ce qui en fait une expérience assez unique."

Vivre FM:  Est-ce que l'on comprend bien ce qu'il se passe ?

Charles Tesson : "On comprend ce qu'il se passe. Dans le moment pas toujours, mais rétrospectivement, on comprend. Ils sont par exemple à un moment dans un atelier de menuiserie, le personnage fabrique un marteau. Le professeur le félicite car l'élève a fait le meilleur d'entre tous. On comprendra  à la scène suivante. Il y a une logique des scènes des objets, des situations ce qui fait que l'on arrive à comprendre mais cela  crée une sorte de relation énigmatique au récit et aux actions.  On le voit en particulier quand il y a des rapports de violence ou de colère ou de reproches:  dans la gestuelle et les mimiques tous les caractères et les expressions passent. La relation ainsi crée entre le spectateur et les personnages est assez époustouflante."

Vivre FM:  Le film  se positionne dans quel registre ?

Charles Tesson :  "C'est un drame. The Tribe c'est l'histoire d'un jeune qui est confronté à des histoires de racket, de gang et de prostitution, c'est une sorte de loi de milieu, de microcosme qui est un concentré brutal de la situation de l'Ukraine aujourd'hui  par rapport à la survie, par rapport à toutes ces choses là.  Le film est construit sur des plans séquences avec une époustouflante maîtrise de la mise en scène.Toutes les scènes sont filmées de loin avec beaucoup d'élégance et de tact.  Ce n'est jamais complaisant. Il y  a une sorte de très belle chorégraphie sur ce monde là. Les personnages  sont toujours filmés dans un plan large , il n' y a pas d'insert, ni de gros plans sur les gestes de la main ni sur le visage. On observe cela de loin.

Vivre FM: Le réalisateur a déjà fait des courts-métrages sur des sujets proches ?

Charles Tesson : Le réalisateur avait déjà effectué un court métrage qui était un peu une sorte de banc d'essai  sur cet univers des sourds  avec  ces personnages-là.

Vivre FM: A t'il une raison particulière de s'intéresser au monde des sourds? Est-il sourd lui-même ?

Charles Tesson :   Le réalisateur n'est pas sourd, je ne le connais pas mais j'ai hâte de le rencontrer à Cannes pour savoir pourquoi il a choisi ce sujet là. Dans le film, à un moment, on les voit à l'intérieur d'un bureau avec des gens qui parlent. La caméra est à l'extérieur , on voit à travers des vitres, on n'entend pas les paroles des autres. Myroslav Slaboshpytskiy arrive vraiment à montrer qu'ils sont dans un monde entre eux , que le dialogue avec les autres n'existe pas, que le seul échange est entre eux. Ce parti pris fonctionne extrêmement bien.

"Ce n'est pas un film sur le handicap, mais avec le handicap"

Charles Tesson : "Au début on a un sentiment d'exclusion, on aimerait bien partager ce qu'ils disent, et puis après cela crée une relation à eux qui passe par le corps via la gestuelle; ce qui est fascinant, unique au cinéma.  Quand un personnage rencontre deux filles , il leur donne  un tshirt avec écrit " Italia"  dessus , pour nous, c'est anecdotique.  Petit à petit on s'aperçoit  qu'il veut leur faire faire des passeports et des visas  pour qu'elles immigrent en Italie.  Ce n'est par la suite qu'on comprend pourquoi il y avait des tshirt Italia. Le film a ainsi des indices, que l'on ne saisi pas parce que l 'on ne comprend pas les conversations, mais que l'on réussit à intégrer;  donc soi même on construit l'histoire au fur et à mesure qu'elle se montre,  mais c'est pas du tout pour faire expérience pour expérience ou un effet de  style.  Cela donne une manière d'être avec eux tout en étant à l'écart parce qu'on ne comprend pas ce qu'ils disent. Il y a comme une sorte de  mur de langage entre nous mais en même temps il y  a une forme d'accompagnement parce que l'on est avec eux du  premier au  dernier plan et on ne sort pas de ce pensionnat et de cette communauté. C'est cela qui est fort." 

Vivre FM: Ce n'est pas un film sur le handicap ?

Charles Tesson :  "C 'est un film sur le handicap au sens qu'ils sont sourds muets et qu'ils ont un handicap, oui. Mais ce n'est pas un film sur le handicap , c'est un film avec."