Psychiatrie Prison

La psychiatrie en milieu carcéral au centre d'un film documentaire

"Etre là" décrit les questionnements de Sophie Sirere, psychiatre aux Baumettes
"Etre là" décrit les questionnements de Sophie Sirere, psychiatre aux Baumettes
Continuer à être là, ou partir ? Ce questionnement obsédant pour Sophie Sirere, psychiatre à la prison de Marseille, est à l’origine du film « Etre là ». Ce documentaire réalisé par Régis Sauder nous plonge au cœur du secteur psychiatrique des Baumettes, accompagnant Sophie dans sa prise de décision de continuer ou non d’y exercer son métier.

Psychiatre depuis dix ans à la prison des Baumettes, Sophie Sirere s’interroge aujourd’hui sur la possibilité d’y accomplir son métier, vécu comme un « véritable acte de résistance ». Pour faire son choix, elle rassemble ses souvenirs de ces années d’enfermement dans des textes forts, pleins d’humanité et parfois révoltés, qui rythment le documentaire de 97 minutes dont la sortie sur les écrans est prévue le mercredi 7 novembre.


« Etre là » est donc une immersion brute dans le service médico-psychiatrique d’une prison, célèbre notamment pour sa vétusté et ses mauvaises conditions d’incarcération. Une illustration fidèle du travail accompli par l'équipe de soignants, comme le souligne Catherine Paulet, chef du service. Dans une inteview accordée à Philippe Hagué, coordinateur de production, en compagnie du réalisateur, la chef de ce service indique qu’ « il ne lui semble pas que les soignants filmés aient modifié grand-chose de leur manière d’être ». Pas plus que les patients qui sont " comme à leur habitude, avec leur gravité, leur souffrance et leur humour ", bien que ce type de parole ne se délivre pas de façon simple.

Une catégorie de patients oubliée

Réaliser un tel documentaire constituait pourtant un véritable défi. En plus d’affronter d’importants obstacles administratifs, « Etre là » se penche sur une catégorie de patients victime d’une forme de rejet.

La question de leur traitement psychiatrique est à la marge de notre humanité, de notre contrat social, selon Catherine Paulet, qui l’assimile à « la poussière mise sous le tapis ». A ses yeux, l’existence même d’un secteur psychiatrique dans les prisons en serait la cause, car elle « cautionnerait l’idée que l’on peut incarcérer les personnes souffrant de troubles psychiatriques du fait de la présence de soignants en prison, voire que l’on peut incarcérer pour soigner ». Et donc « régler bien des problèmes », en isolant des patients difficiles à soigner.

Mettre en valeur l’humanité des détenus


Le parti pris du film est au contraire de faire exister ces détenus que certaines pathologies destructurantes empêchent de vivre sereinement. Malgré leurs troubles sévères, la responsable du service estime que « ces patients ont toujours peu ou prou une conscience critique de ce qu’ils vivent, ce qui les taraude et parfois les détruit ». Souffrir ne signifie donc pas être un sous-homme. Et c'est aussi cela que le film souhaite afficher, « la dignité de ces hommes souffrants, placés en situation d’égalité et de fraternité ».


L’humanité de ces détenus est ici mise en avant, sans toutefois faire preuve d’angélisme, et " il n’est pas question de considérer qu’ils n’ont pas à être punis pour les crimes qu’ils ont commis ». Le propos est juste de montrer comment, néanmoins, ils font partie de la communauté humaine.


Cette humanité transparaît dans la relation soignants / soignés, finement restituée par le film, d’après Catherine Paulet. Si la surpopulation carcérale, la promiscuité insupportable qu’elle engendre ou encore l’insalubrité des locaux sont bien évoquées, elles ne constituent qu’une toile de fond du film, principalement focalisé sur « l’espace intemporel du soin comme lieu de rencontre ». Le cadre serré sur les visages traduit notamment ce souhait d’effacer la prison qui, en dehors de l’entrée, existe peu dans le documentaire.


A aucun moment il ne fut donc question de « faire semblant de faire une consultation », selon le réalisateur. « Le patient savait que cet échange serait restitué, et que c’était en quelque sorte une consultation publique, avec la conscience qu’on était trois ».


Filmer en noir et blanc pour transmettre un message


Le choix du noir et blanc est un autre élément marquant du film. Non prévu initialement, il s’imposa à Régis Sauder pour plusieurs raisons. D’abord parce que la prison est un lieu d’austérité. Il peut certes y avoir de la chaleur et de la couleur, mais malgré les changements d’appelation (on dit désormais « établissement pénitentiaire », au lieu de « prison ») « ça reste toujours une prison, avec des portes qui claquent, des cris, des couloirs qui réverbèrent et des détenus présentant les points les plus douloureux et les plus extravagants dans notre humanité », confie Catherine Paulet.


Enfin, le réalisateur voulait suggérer que le noir et blanc traduise « quelque chose qui était de l’ordre du passé ». « Car cette façon de proposer du soin appartient au passé, notre société ayant fait un autre choix ». L’approche thérapeutique de l’équipe soignante serait donc une forme de « résistance », comme la nomme la chef de service, qui ne serait toutefois pas en voie de disparition selon elle. La plupart des soignants intervenant en prison déploiraient beaucoup d’énergie pour résister à une forte demande sociétale et politique de transformation de leur discipline en médecine de « l’expertise ». Ce qui leur est demandé, c'est d’avoir une démarche d’évaluation des personnalités, de prédiction des comportements et notamment des risques de récidive éventuelle.


La nécessité d’une réflexion collective

Soucieuse d’œuvrer prioritairement sur les questions de réinsertion, cette majorité de soignants aurait pris « une position collective très ferme sur ce qu’elle estime être des fondamentaux : une médecine de la personne malade, en souffrance, réclamant une grande écoute, et non une médecine de l’expertise ». Face au développement d’une logique de rejet des personnes souffrantes, le film plaide donc pour une réflexion collective et sociétale, en vue de « repenser le contrat social ». Et de s’interroger enfin sur la place à accorder à la psychiatrie dans notre société.